Cycles : une introduction

C

J’ai commencé à travailler sur ce que j’appelle « cycles » fin 2008, alors que je venais de me retrouver au chômage au pire moment qui soit. Nous entrions en récession, tout le monde paniquait partout. Pour moi, ça ne collait pas…

Au lycée, j’avais étudié les cycles de Kondratiev, à l’université, ainsi que les phases A et B définies par des historiens, cycles d’augmentation ou de baisse des prix dans les sociétés d’ancien régime en Europe. J’avais depuis longtemps opéré une sorte de synthèse personnelle nourrie par mes lectures de Karl MarxJoseph Shumpeter ou d’autres, synthèse intuitive de ces cycles économiques que je reprends à Kondratiev en tendant à les mixer avec des signes visibles, ceux que produit la culture. C’est un passe temps.

Bref, alors que tout semblait s’écrouler et que sur le net les spécialistes auto-proclamés de Kondratiev, récupéré par les néo-conservateurs, s’évertuaient à vendre de l’or pour se protéger de ce qu’ils appellent « l’hiver », je me butais sur mon propre mur conceptuel et n’arrêtais pas de me dire que non, ce n’était pas possible, que ça ne collait pas. On n’était pas en crise, dans ma grille, c’était même le plein boom. On était en « été », et non en « hiver ». J’évoquais donc un jour sur mon blog un « typhon », ce phénomène naturel destiné à rétablir un équilibre.
Cinq ans plus tard, les faits m’ont donné raison. Ça m’amuse un peu car beaucoup de spécialistes doivent passer beaucoup de temps à essayer de faire oublier leurs prédictions affolantes et affolées sur la chute du capitalisme. D’autres dénoncent les manipulations de la finance pour expliquer que ça ne se soit pas encore écroulé. Oubliant que c’est le principe même du capitalisme. Qu’importent les moyens pourvu qu’il y ait du profit et que ce dernier ne soit pas menacé. On était bien loin du krach de 1929… On était en fait beaucoup plus en 1907, la panique des banquiers, oubliée depuis.

Nous avons, depuis 2008, connu une première récession, mais très rapidement une puissante reprise économique dans un certain nombre de pays que l’on regardait auparavant comme des pays de la périphérie et qui ont utilisé ce cycle d’ajustement dans les anciennes puissances pour conduire de puissantes relances keynésiennes basées sur l’investissement public et financées par des taux d’intérêts incroyablement bas, des relances qui, en poussant la croissance à des niveaux incroyablement élevés, ont accéléré le désendettement de ces états.

Les états plus avancé ont, eux, utilisé la planche à billet pour renflouer leurs banques. Leurs banques centrales ont racheté à tour de bras les produits financiers qui plombaient leurs bilans, ce qu’elles ont appelé quantitative easing. L’une des plaie de la finance de marché d’avant le krach, les Quants, est donc devenue la théorie officielle qui nous gouverne.

Le renversement de tendance du dernier cycle court est intervenu en 2009, faisant suite au précédent cycle court qui fut une période d’intense spéculation sur fond de dégonflement de la bulle des subprimes. Depuis 2009, nous avons vécu quatre années de prospérité économique. Beaucoup sont passés à côté dans les vieilles puissances, mais la Chine et autours d’elle toute l’Asie (à l’exception du Japon) ou l’Amérique Latine ont connu des taux de croissance dignes des trente glorieuses.
Ce cycle, c’est le cycle de l’iPhone. Présenté en 2007, il a commencé sa carrière modestement, plombé par les limitations technologiques du marché américains dues à des retards d’investissements des opérateurs (privés) dans la 3G. C’est donc en 2008, au moment où les bourses internationales soldaient la bulle de crédit dans un plongeon inégalé depuis plus de 70 ans, que Apple lançait le véritable iPhone, le iPhone 3G.
Très vite, en 2009, dans toute l’Asie, et particulièrement en Corée du sud avec Samsung, la concurrence a développé ses propres gammes de téléphones Androïd. Apple a vite repris la main en sortant un super iPhone, le iPad, qui amorça le marché des tablettes.

Nous en sommes là. Je blaguais l’an dernier quand l’action Apple caracolait à 700 dollars : quand elle baisse, c’est le début du retournement du cycle.

Voilà, elle coûte désormais 500 dollars. Le cycle court, Jugglar ou cycle des affaires, touche à sa fin. Nous entrons dans un cycle d’investissement, de concentration. Dans 4 ans, quand on entrera dans un nouveau cycle, avec un ou deux nouveaux produits phares, Apple, ou Google, ou Samsung, ou un autre, aura peut être disparu de l’incroyable concurrence qui s’opère désormais. Car le marché est saturé. Et developer un produit coûte cher.
Du côté du cycle long, un Kondrattief, démarré en 1992 après la guerre du Golfe, il nous en reste pour 3,4, 5 ou six ans. Nous sommes en fait dans l’âge d’or du capitalisme de l’âge informatique. Nous avons désormais les connections 4G, les vitesses de l’Internet atteignent 1 Go au Japon ouvrant le marché du multi-play familial.

cycle kondratieff relativement synchro avec mes propres cyclesJe dois toutefois vous avouer une chose, mes cycles Kondratieff sont assez différents de ceux que vous trouverez sur le net ou dans des ouvrages. Tout d’abord parce que certains auteurs utilisent les Kondratieff corrigés par Shumpeter. Ensuite, Krondratieff ayant été envoyé en camps par Staline en 1937, il n’a pas pu continuer son travail sur le 20ème siècle. Et puis, très rapidement, Kondradieff a été utilisé par des courtiers, des sociétés de placements financiers dans le but de prévoir des évolutions de cours boursiers.

Avec l’apparition d’Internet, ces sociétés se sont multipliées et d’un travail relativement sérieux, on est passé à une phase de plus en plus manipulatrice et si vous recherchez le Kontradieff wave sur internet, vous constaterez que pour ce qui concerne les deux cycles récents, beaucoup ont en fait calé les cycles sur leur propres analyses : l’automne Kondratieff s’est ainsi vu rajouter des années et dure maintenant une bonne quinzaine d’années, tandis que l’été qui l’a précédé s’est vu écourter pour caler avec les années Reagan, cet âge d’or des boursicoteurs du monde entier.Qu’on me permette donc, à moi aussi, de prendre mes aises avec les cycles Kondratieff, puisque tout le monde le fait si bien…

Je suis assez synchro avec les cycles tels que décrits par Kondratieff lui même. Je me permets juste de les caler sur des événements importants qui en accélèrent ou ralentissent la tendance. Ainsi, j’aurais tendance à placer un retournement en 1914, avec la guerre, et même peut être un peu avant, vers 1910/1912, quand il est devenu clair que la surproduction d’acier et les guerres de prix allaient entraîner les puissances dans la guerre, ce qui me permet de regarder la guerre comme une première tentative de juguler la crise et non quelque chose qui l’a précipité. Toujours est il que sitôt la guerre terminé, les grandes puissances sont immédiatement rentrées en récession, et là, tout le monde est unanime pour dire que le cycle long des années 1890/1900 est bien terminé. Au passage, en 1913, le président des USA signe le décret portant création de la Federal Reserve. Cela pourrait être, aussi, une date. Kondratieff mettait son curseur entre 1915/1920.

Kondratieff base sa théorie sur l’évolution des prix et des cycles d’investissement. Shumpeter a complété cette idée en mettant en évidence quels sont les technologies propres à chaque cycle.

Les années 1920 sont donc bel et bien un automne, une période de crise, mais les boursicoteurs ont décidé d’en faire un été bref, avec un automne sur la fin, suivi d’un long hiver jusqu’en 1950… Les travaux plus sérieux voient bien l’hiver s’abattre en 1929, et le débat est virulent pour savoir quand le printemps commence. 1940, ou plus tard ? Cela a l’air de rien, mais il y a là une bataille idéologique majeure : voir la fin de l’hiver, et donc le début d’un nouveau cycle avant 1940, c’est voir dans le New Deal une des solutions à la crise. Voir la sortie de l’hiver après 1941, c’est voir la guerre comme le moyen de sortie de crise, et considérer le New Deal comme un échec.

Pour moi, clair, net, précis. En 1937-39, le cycle se retourne. Et donc, le New Deal est un vrai succès. Au passage, je suis synchro avec Kondratieff lui même : mon cycle de crise dure de 1912-14 à 1937-39, soient 25 ans. Imaginez bien que certains boursicoteurs produisent un cycle de crise durant… 40 ans. Je ne suis pas là pour juger s’ils ont tord ou raison : mais on n’est plus dans un cycle Kondratieff sensé durer 25 ans en expansion et 25 ans en contraction.

Le cycle qui suit va donc jusque 1965, ce sont les trente glorieuses, l’époque longue d’expansion avec la société de consommation, et où la régulation de l’économie avec les outils keynésiens est un succès. L’économie se gouverne alors comme un avion, on accélère un peu pour garder le chômage aussi proche possible de zéro pour cent, en augmentant les salaires, les prestations, les travaux en infrastructures publiques. On ralenti un peu pour garder d’inflation sous contrôle, inférieure si possible à 5%, en augmentant un peu les impôts pour balancer le budget : la période keynésienne est une période d’équilibre budgétaire et de faible endettement. C’est la période aussi des grands investissements : Airbus, internet, l’informatique, les technologies spatiales, le nucléaire aussi, sont tous les produits des recherches publiques des années 50/60, même, et surtout aux USA. C’est l’âge du pétrole et de la pétrochimie, du plastique et des insecticides. L’âge d’or, c’est Kennedy.

Le cycle se retourne vers 1965, on en voit le signe de façon très nette : on commence à faire de l’inflation ET du chômage, bref, les gouvernements ont de plus en plus de mal à contrôler. Et puis on prend conscience de la pollution, du gâchis, et puis le dollar perd son statut de monnaie étalon en 1971, et puis le pétrole devient plus cher, les réserves s’épuisent aux USA, le charbon est lui hors de prix. Toutes les fondations du modèle semblent sapées. Le chômage augmente, 2, 3, 4, 5% et l’inflation aussi, 3, 4, 5, 10, 15%… C’est l’automne. Les années 80 commencent par une brutale récession déclenchée par les néo-conservateurs anti-keynésiens, Thatcher et Reagan. L’hiver est violent, ce qui n’empêchent pas certains de faire la fête, comme dans les années 20. La décennie s’achève par l’éclatement de la première bulle depuis 50 ans, et une récession, et une guerre, et le SIDA.

L’élection de Bill Clinton coïncide parfaitement avec le retournement du cycle. Un nouveau cycle commence, l’âge informatique. Internet et informatique génèrent de fantastiques profits, tandis que les investissements massifs dans de nouveaux pays, en Asie essentiellement, permettent de produire à bas coût et donc restaurer les profits en berne du cycle précédent. Trois bulles ont dors et déjà explosé dans ce cycle, basé sur la non régulation et l’abondance de crédit d’une finance revenue au non-cadre d’avant Keynes. Une première bulle éclate en 1995, c’est la crise mexicaine et le krach monétaire. Les liquidités qui se déplacent vont alors s’investir dans les nouvelles technologies, c’est la bulle internet. Celle ci se dégonflant, prétexte à un nouvel assouplissement du crédit, les liquidités vont se placer à la bourse et dans l’immobilier. En 2007, la bulle explose et certains pays sombrent dans la récession, mais cela n’empêche pas le commerce mondial de continuer de croître et à la planète de connaître, en 2010 et 2011, des records historiques de croissance économique. Nous sommes donc bien, toujours, dans un cycle long d’expansion. L’été est simplement très orageux, et certaines zones ont été dévastées par un typhon. Ça arrive.

Beaucoup de Kondratieviens boursicoteurs parlent en ce moment d’hiver. Je leur conseille de regarder les chiffres de la Chine, de la Corée ou de l’Inde…

Ce cycle devrait donc se retourner vers 2015-2017. C’est ce à quoi je me tiens. Et nous devrions rentrer dans un cycle automne, de plus en plus instable, cette fois ci même au sein des pays émergents.
Ces cycles longs détaillés, j’affine en utilisant les cycles courts, dits cycles des affaires, ou Jugglar, et qui correspondent généralement à un ou deux produits qui tirent la croissance quelques années, trois à cinq ans, avant que le marché ne sature et que donc la croissance ne ralentisse, on est donc alors dans un cycle d’investissement (c’était, dans les années keynésiennes, la période de relance).Mais ce travail sur les cycles ne serait rien si en fait je n’en faisais pas un travail d’histoire culturelle. Mon dada, c’est la mode, la musique, le cinéma. Et quoi de plus fascinant que regarder la quasi synchronisation des phénomènes culturels avec les cycles économiques.

Une de mes explication est que 25 ans, c’est l’âge d’une génération. Et ces cycles de 25 ans, on les voit également dans le passé à travers la mode et les façons de penser. 1715-20, la mort de Louis XIV, la régence. Un printemps, les premières Lumières, optimistes, Voltaire, Montesquieu, la banque de Law, le baroque français. 1740-45, la crise, les secondes lumières, pessimistes, Rousseau, Diderot, Pompadour, la fin du baroque. L’automne. 1765, le take-off, Oberkampf, la demande de libéralisation de l’économie, l’émancipation de la société civile, l’opinion publique, le classicisme, Kant, et en France l’inadéquation du régime. Un printemps. Et 1790, la crise… Kondratieff date le premier cycle d’expansion aux années 1815. Synchro.

Dans ce cadre, les changements culturels s’opèrent au gré des générations, avec au bout de 50 ans l’émergence d’une génération totalement nouvelle recomposant dans le passé un imaginaire qui la fait se muer et aller de l’avant. Dans les années 1990, ce furent de mythiques années 60. Tout comme la Régence en France fut mue par une nostalgie pour les premières fêtes de Versailles dans les années 1660, sorte d’âge d’or mythologique. Les années 1950 furent de nouvelles années 1900, dessinées par Christian Dior, et les années 60 de nouvelles années 20 avec des garçonnes en cheveux courts, les années 70 de très risquées nouvelles années 40. Et les années 80 de nouvelles années 30 s’imaginant de nouvelles années 50… Les années 1830 virent elles réapparaître les amples robes de la seconde moitié du 18eme siècle, et quand en France la République se fut senti bien installée, vers 1900, la nouvelle génération commença à lorgner vers les origines et les femmes de 1910 s’habillèrent dans une interprétation orientaliste de la mode de la révolution française… En 1965, Courrège, lui, dessina le vêtement féminin destiné à l’époque telle qu’elle se voyait : spatiale…

On le verra dans ces pages, mettre en parallèle culture et cycles économiques est passionnant, et stimulant.
Je ne peux, bien sûr, pas m’empêcher de formuler quelques pistes pour le futur…

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