Et soudain, libre comme l’air…

Le héros de la semaine, le héros de l’année, le lapin, ウサギ/usagi. En japonais, uso veut dire mensonge, et sagi veut dire escroc. Usagi… ね!Notre salle des professeurs »…
C’est le premier pas qui est le plus difficile à franchir. Quand M. l’a franchis il y a quelques semaines, je ne sais pas si l’équipe a réalisé ce que nous nous apprétions à vivre. En fait, il faut expérimenter une fois cela dans sa vie. Et se concidérer chanceux, victorieux sur soi-même d’avoir vécu une telle expérience afin de bien avoir à l’esprit l’aspect inhabituel d’une telle situation, son caractère anormal.
Je ne vais plus travailler.
Oui, il me semble important de souligner l’aspect tabou d’une telle attitude. Non, je ne suis pas un adolescent qui sèche les cours, même si ce fut un peu mon impression quand, hier, je me retrouvais dans l’ascenceur après avoir décidé, après seulement une heure de cours, que c’était suffisant, qu’il ne servait à rien d’en rajouter. Je suis un adulte et j’ai bien pesé et le pour, et le contre. Au contraire, même, en sortant, je peux retrouver le recul qu’exige une telle situation, penser à moi, aux options qui me sont ouvertes, et après tout, elles sont nombreuses.
Quand notre Assistant Trainer n’a pas été payé le mois dernier, un professeur a décidé de ne pas venir travailler. Moi, j’ai ôté ma cravatte. M. a un autre travail, il est surchargé, il a considéré à juste titre qu’il devait désormais investir là où il pouvait être sûr d’être payé.
Cela a commencé en fait dès le mois de juillet : le paiement est arrivé vers midi. Et puis à la fin du mois de juillet, le personnel fut payé avec 5 jours de retard. Le salaire arriva dans les temps en août mais pour les staffs il y eu encore du retard. Et en septembre, ce fut au tours des « managers/trainers » d’être payés en retard. La consultation des blogs, principalement anglo-saxons, commença à occuper nos journées et nos nuits, à en devenir fous. J’ai rêvé de NOVA, j’ai engoissé de NOVA. Certains étudiants ont commencé à nous en parler, inquiets pour eux, souvent, inquiets pour nous, parfois.
La réaction de M., le mois dernier, fut une réaction, calme, posée. Saine. Ma cravatte enlevée le fut aussi. Et puis au fur et à mesure que la paie arrivait, il a fallu se « positionner ». J’ai résolu de ne pas compter dessus, peut-être par peur superstitieuse que trop d’espoir anihilerait toute chance, qui sait… V., un autre collègue, a commencé à re-espérer.
On a été soumis à rude épreuve depuis 3 mois, une bonne nouvelle chassant une mauvaise en attendant qu’une autre bien pire ne vienne tout balayer. Allez vous reposer, récupérer quand vous ne savez plus vous même où vous en êtes. Je me sens au bord d’une dépression depuis des mois maintenant. Il est des week-ends où je ne sors pas, où l’énergie me manque, où même écrire ce blog me semble un effort insurmontable.
Un effort…
Cette situation remue des souvenirs anciens, comme celui de mon père, vers 1974, quand il avait perdu ses papiers. J’ai beau savoir que ma situation est bien plus enviable que la sienne, comment puis-je ne pas avoir au fond de moi une petite voix qui me dise que je vais être séparé de Jun et du Japon ? A chaque fois que j’ai tenté de m’accrocher à un peu de certitude, celle-ci a été balayée par l’évidence de la réalité. J’ai bien fait ce mois-ci de me préparer à n’avoir rien. Je n’ai pas d’argent mais je m’y suis préparé.
Il y a deux semaines, on est venu installé la fibre optique, chez moi. Le même jour, il y avait des travaux sur les lignes électriques, dans la rue. Les Japonais passent leur temps à dormir…
La lecture des forum, où nous recherchons des informations, loin de nous ressurer, nous tétanise. Nous ressassons les mêmes news faisandées, les mêmes rumeurs amplifiées avant d’être démanties et nous repassons en boucle la faillite annoncée avec la même violence que nous nous sommes infligés durant des jours l’anéantissement des tours jumelles à New York en 2001. Jusqu’au dégoût, au vide de soi. Nos rêves ne sont que violence, et cette violence s’appelle NOVA. Les étudiants parfois nous plaignent, et nous enchaînons la leçon.
Vendredi, je suis arrivé, je n’en pouvais plus, et le soir j’ai reçu un message : nous ne « serions » payés que le 19 et non le 15. C’est que le patron avait conclu un contrat avec des investisseurs, le 10, et que tout allait rentrer dans l’ordre… Les staffs attendent leur salaire depuis presqu’un mois…
Shibuya, la ligne Inokashira.
Le deal, c’est en fait une émission de warrant et il n’y a pas de prêt qui sécurise l’opération. Ca ne résoud rien et rapidement nous avons même compris que cette opération frisait même l’escroquerie, voir le blanchiment, et que jamais NOVA n’en bénéficierait.
Ces dernières semaines, les messages du présidents sont devenus quasiment mystiques, religieux. Il y a de la lumière, des nuages, des forces hostiles. Et sans cesse des mensonges pour mener le plus de gens possibles dans sa course.
Je ne crois pas en Dieu, mais je sais reconnaître le diable et je ne le suivrai jamais. Vendredi, j’ai rêvé que je donnais ma démission. A mon reveil, je m’apercevais que j’avais enfin vraiment rêvé, et que ce n’était pas un cauchemard. Voilà pourquoi vendredi j’arrivais irrité au travail.
« Mon » Jinja, à Sendagaya : ici, une scène de Kyôgen et de Noh. Promenade de dimanche midi… Ma première depuis un an et demi.
C’est V. qui a le premier violamment décidé de partir, samedi après midi. Il était livide. Ca m’a fait réfléchir. C’était pourtant clair.
Par moment, je suis avec Jun, mais je ne suis pas avec lui : je pense, ne dit rien, je pense à NOVA. Je parle de NOVA à mes étudiants, il me plaignent. Mais je ne veux pas être plaint par mes étudiants : je vais bien! Je n’aime pas inspirer la pitié… Je me suis retrouvé en leçon avec un étudiant dimanche matin, nous parlions de Sartre. Ca a été une évidence : parler de Sartre et travailler dans ces conditions, ce n’est pas enseigner, c’est bavarder. J’ai quitté le travail après cette leçon et après une longue conversation avec B.
Dans l’ascenseur, j’ai senti en moins le frisson de l’adolescent qui séche pour la première fois. Je traversais Ginza un dimanche, pour la première fois depuis un an et demi.
J’ai fait une grande promenade, suis rentré chez moi vers 17h30.
Depuis un mois, je cherche du travail, je sais que cela ne sera pas facile. Je n’ai pas d’économies, c’est une vraie catastrophe. Mais rester au travail quand je sais pertinament que je ne serai pas paye, dans cette atmosphère de mensonge, c’est suivre le diable et c’est brûler avec lui.
J’ai eu des entretiens. Je dois désormais me reconstruire hors de cette énorme violence subie. Je n’ai pas été respecté en tant qu’individu, en tant qu’humain, en tant qu’enseignant. Mon travail est méprisé : je suis dévalorisé aux yeux même de mes étudiants. Je ne pourrai jamais retravailler dans cette école.
Aujourd’hui, je me suis occupé de moi, je n’ai pas fait grand chose, certe, mais je vous ai choisi quelques photos, j’ai eu de longues conversations au téléphone avec des collègues… Je ne suis plus lié à NOVA, que par un contrat dont les termes ne sont pas respectés par NOVA. Je ne ferai pas grand chose demain non plus, c’est ce que j’ai décidé. En revanche, j’attaque de bonne heure mercredi, mais pour moi. Je ne m’interdit aucun travail aucune possibilité. Je me dépollue l’esprit de ce travail désormais révolu.
En quittant le travail hier, j’ai franchi une limite, j’ai brisé un tabou. Pour moi, c’est terminé.


Shibuya il y a quinze jous. Un matin vers 9h30. On voit de drôles de trucs, ici.

C’est la fin d’une époque. C’est amusant, il y a quelques mois, j’avais eu ce pressentiment. Ce n’est pas la fin du Japon, pour moi… J’avais acheté une pâtisserie chez Demel, à Matsuya. Demel, c’est une pâtisserie Autrichienne. Je m’étais acheté un sandwish chez Kaiser. Je m’étais fait la réfléxion que nous étions ici un peu comme des Princes, des Français à Ginza… Et je m’étais posé la question, mais jusqu’à quand cela durera t’il… Voilà le moment arrivé. Et je pense que c’est une bonne chose.
Je suis content d’avoir arrêté (en fait, je suis « malade ») car je pense à moi, je repense à écrire, et j’écris d’ailleurs de nouveau ce blog, je vous ai choisi quelques photos -tiens, pourquoi donc leur ai-je enlevé leurs couleurs… N’y voyez pas de la tristesse, voyez-y plutôt le début d’une recherche, d’une quête de simplicité.
Je vais avoir la tête toute à moi et toute à Tôkyô, et toute à vous et toute à Jun. L’argent, ce n’est pas si grave, je trouverai une solution, ce n’est que matériel. Mais un dépréssif ne peut se sortir de la situation dans la quelle je suis : ma promenade dans Ginza, ce dimanche après-midi m’a rendu à ma vieille promesse de mes 40 ans : je vis.
Voilà en résumé la situation actuelle, pénible et prometteuse aussi. Je ne compte pas rentrer en France, je vais devoir faire montre de souplesse, de volonté mais aussi d’imagination, le tout soutenu par une réelle ambition.
Eh bien, le plus étonnant, je crois que c’est mon ambition qui m’a conduit à ne plus travailler. Je parlais de Sartre avec l’étudiant, et je me suis entendu, et je me suis vu, et je me suis fait honte.
Je mérite nettement mieux que ça.
Ma collègue Odile n’a pas arrêté de me le dire, et mon collègue Mulgon aussi. Tiens, il visite la Chine, en ce moment…
Allez, je vais me coucher…


Commentaires

2 réponses à “Et soudain, libre comme l’air…”

  1. Je suis de tout cœur avec toi.
    Il faut surtout que tu évite la dépression qui te renfermerais sur toi.
    Je te verrais bien a l’Alliance Française a enseigner la culture française.
    Courage.

  2. Je suis de tout cœur avec toi.
    Il faut surtout que tu évite la dépression qui te renfermerais sur toi.
    Je te verrais bien a l’Alliance Française a enseigner la culture française.
    Courage.

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