Du bon travail


C’est l’hiver, et en hiver, il fait bon manger des ramen/ラーメン.

Je suis devant mon ordinateur depuis le début de l’après-midi : il pleuvait. Quand je vous disais que l’hiver arrivait…
Après mon blog sur « la bulle » (prêt à servir mais il faut que je me documente un peu quand même), voici mon « vrai » blog Japon. J’ai repris ce que j’avais écrit sur un autre site et l’ai arrangé sous forme « bloggée ». L’avantage un dialogue « critique » sur les conseils que je donne, une forme quasi-wikienne (excuse moi, TB, ai-je le droit d’inventer des mots ? A cet égart, ton message était parfaitement justifié. Dans les phrases qui t’ont agacé, seule la première méritait l’emploi du présent, la suite créant une forme redondante. J’en ai eu le sentiment en écrivant mais, comme je l’ai déjà expliqué, je refuse la relecture. J’écris, point. Ainsi, plus loin, on aurait pu remarquer un terrible enchainement de 2 subordonnées qu’un simple participe présent eu suffit à alléger… J’y ai pensé également, me disant que ce serait pour la prochaine fois… Cet emploi du présent dans le passé n’est toutefois pas, chez moi, en tout cas je l’espère, une forme d’obeissance un quelquonque air du temps linguistique… mais plutôt quelque réminiscence de l’ancien étudiant en histoire. Car les historiens parlent très aisément au présent, ils y sont obligés. L’emploi de tout autre temps empêcherait non pas le « surgissement du passé dans le présent » (style en vogue à l’heure actuelle en effet), mais toute possibilité de perception des évolutions qui font l’histoire et lui donne corp.


Il a obstinément refusé de se laisser photographier, malgré les demandes répétées de la maman, de la grand-mère et du papa. En novembre, c’est la fête des 7-5-3 ans.

Les historiens utilisent donc un présent qui est le présent de l’action principale, de l’objet étudié. Ce qui précède est généralement décrit dans les formes traditionnelles du passé (imparfait, plus que parfait, passé simple et même futur antérieurs quand une évolution précédemment en cours est stoppée…) et on conclut généralement en ouvrant le sujet au futur. Je lis en ce moment un ouvrage de Claude Gauvard (médiéviste, Paris I) et cette utilisation de toute la palette des congugaisons rend très précises, palpables, les évolutions, les temps longs comme les temps courts de l’histoire. Fin de -longue- parenthèse, mais je suis très heureux d’être lu, aussi, avec un esprit critique sur la langue que j’emploie.)
En ce moment, je regarde beaucoup de films à la maison, et je recommence, enfin, à ouvrir des livres de japonais. Mon niveau a baissé à une vitesse hallucinante. La présence dans un pays est une opportunité pour progresser mais nullement un pis-allé. Surtout pour un enseignant pratiquant sa langue maternelle à longueur de temps. Cela étant, ma capacité à écouter du japonais et à utiliser le peu de mot ayant survécu à l’oubli est incroyable.
Mon appartement a déclenché une nouvelle phase : la phase cocooning ! J’aime être chez moi. Je regarde des films touvés ici ou là (surtout là, d’ailleurs…). Volver, d’Almodovar, par exemple, m’a beaucoup plu. Le retour de Carmen Maura, ce visage de vieille femme… J’en ai revu La loi du Désir qui reste mon film préféré.


C’est l’hiver, et on recherche ces érables aux feuilles rouges qui donnent ses dernières couleurs à l’année finissante.

Bon, et le Japon dans tout ça ? Ben, me voici désormais plongé dans un Japon que j’appellerais le Japon de la vie quotidienne.
Hier, je me suis apperçu en faisant les courses que je connaissais par coeur la chanson du rayon « viande », « oishii niku tabeyô » (mangeons de la bonne viande). J’ai eu un éclair de lucidité Houellebecquien et j’ai rapidement bouclé mes courses. Moi qui aime tant flaner dans les supermarchés japonais. Remarquez, les petites boutiques sont bien plus sympathiques… mais les mînes gênés des propriétaire m’empêchent d’y passer trop de temps (d’où le retour à mes bouquins de langue… il me faut du vocabulaire !!!!!). On me parle parfois, on me sourit aussi mais les Japonais sourient finalement assez peu (dans la journée).
Mon quartier est un quartier assez mélangé. C’est un quartier très calme. Mal désservi (une seule ligne) mais rapide d’accès (je suis à 20 mn de mon travail). Il y a des Coréens, des Chinois et des Indiens, peu d’Européens ou d’Américains. Le Japon assimile très bien les populations (on s’y fond très bien car son moule est somme toute confortable, paisible et on s’angoisse assez facilement à l’idée d’être celui ou celle qui viendra rompre un tel ordonnancement), il n’empêche qu’il refuse cette assimilation. Le Japon mène une politique strictement raciale. L’ex président Péruvien corrompu, Fujimori, s’est vu accorder la nationalité Japonaise quand il était poursuivi par la justice en son pays alors qu’il n’avait jamais vécu au Japon de sa vie. En revanche, les descendants de Coréens déportés dès les années 1912 peinent à se la voir accorder, alors que l’on est à la 4ème génération. Ce mélange des nationalités dans un pays qui feint d’ignorer la réalité des migrations ainsi que la compléxité de sa propre histoire n’ira pas sans poser de graves problèmes à l’avenir. Et je ne peux m’empêcher de penser à la France dont la situation parfois explosive est due au même refus de voir la réalité des migrations et des nouvelles dynamiques démographiques.

En regardant cette Divinité Pinceau (combien de pinceaux, stylos nous abandonnons chaque année à leur pauvre sort après les avoir cruellement exploités… ). Regardez dans le détail, je suis sûr que vous retrouverez plusieurs de vos auteurs de mangas préférés qui n’ont pas négligé leur Devoir et Obligation. Cliquez donc !

Une étudiante d’un certain âge m’a ainsi affirmé que le Japon est un pays pauvre, que les étrangers y achètent tout. Je lui ai rappelé que le Japon est la deuxième puissance mondiale, que tout ne va pas si mal, et que les Japonais achètent eux même beaucoup de choses à l’étranger. Elle était perplexe. La réalité des discours nationalistes sur la décadence est une réalité universelle. J’ai entendu les mêmes choses en France… Un historien que j’ai entendu récemment disait qu’il faudra un jour s’intéresser à l’idée du présent glorieux dans l’histoire de la mode (idée que la mode du présent est éternelle, la meilleur pour toujours). Il faudra pousser l’étude à l’histoire de la perception du présent.
A ce sujet, je commence à être très sceptique quand à l’appellation, aujourd’hui communément admise de « décénnie perdue » utilisée pour désigner la période qui part de l’après-bulle et va jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Koizumi. En quoi cette décennie a-t’elle été du temps perdu, et pour quoi ? Pour la première fois depuis l’après-guerre, et pendant 3 ans, une coalition de Centre-Gauche a chassé du pouvoir le PLD puis, ce dernier revenant au pouvoir, ce même Centre-Gauche a décidé de créer un parti politique unifié qui menace le PLD. C’est durant cette période que le Japon a reconnu les déportations de femmes de réconfort et que des excuses ont été faites pour le première fois. L’affaire du sang contaminée par le VIH a été avantageusement traitée par un ministre de gauche, Naoto Kan. C’est à cette époque que ces réalisateurs de cinéma que les cinéphiles aiment tant, Sabu, Sogo Ishii, Miike Takashi, Kawase Naomi, Hashiguchi Ryôsuke, etc, ont réalisé des films qui mettaient en scène la réalité de ce pays corrompu en haut, et réduit à la solitude et la misère affective en bas. Le roman n’a pas été en reste et les années 90 ont vu émerger des auteurs qui, comme la Coréenne Yu Miri, racontaient le réel sans fard. Parallèlement, des mouvements issus de la société civile interpelaient régulièrement l’opinion sur les gachis que provoquaient la corruption dans un pays où, par ailleurs, les vieilles personnes sont quasiement laissées à l’abandon. Est-ce cela, une décennie perdue ?


Spéciale dédicace à TB et Rasen : à quelle série télévisée ai-je pensé en passant à côté de cette « grotte » ? … he he he..

Oui, pour la droite Japonaise, pour les financiers verreux, les politiciens corrompus obligés de se cacher après que la gigantesque bulle spéculative s’est dégonflé, avant que le tremblement de terre de Kôbe ou l’attentat au gaz sarin ne révèle l’étendue de la corruption, de l’impunité et de l’incompétence. La vraie décennie perdue furent justement plutôt les années 80, quand l’argent coulait à flot uniquement pour enrichir les réseaux d’influence. La décennie perdue, c’est en ce moment, quand toute cette volonté de changement de la société japonaise n’a conduit, en 5 années de Koizumi, qu’au piètre résultat d’une privatisation de la poste et à une reprise économique en forme de reprise technique (parce qu’il faut bien que ça reparte après 10 ans de taux 0 et une sous évaluation chronique de la devise ainsi que des barrières protectionnistes toujours en place…). Dans mon quartier, je les vois, pourtant, ces hommes et ces femmes qui s’habillent en fripe à 300 yen, qui achètent la viande bradée en fin de journée. Leurs looks contrastent cruellement avec celui de ces bourgeois(es) élégant(e)s et néo-bourgeois(es) débraillé(e)s de Ginza, le Japon du PLD, le Japon qui va bien.
Il n’y a eu de décennie perdue, finalement, que pour les riches et les classes moyennes aisées. Pour tous ceux qui sont épris de liberté, cette perte d’influence des élites conformites a du au contraire être un temps béni des possibles.
Bon, allez, assez blablaté comme ça
De Tôkyô,
bavard comme toujours,
Suppaiku


Commentaires

4 réponses à “Du bon travail”

  1. Avatar de Nicholas

    Bonjour Suppaiku,

    l’utilisation des temps et des aspects est difficile a enseigner et a maitriser. Ici a l’Universite du Texas, une equipe de professeur a developper une methode pour enseigner ces points particulierement problematiques: les articles, la narratologie (comment on emploie les differents temps du passe et aussi le present… ) et tous les autres casse-tetes des professeurs de FLE. Dans notre departement de linguistique francaise, on pense beaucoup au sort des emissaires de la langue comme toi. On s’appuie sur les derniers courants de linguistique theorique pour aider l’enseignement. Si ca t’interesse, le livre n’est pas sorti mais j’ai les epreuves. Juste au cas ou tu voudrais parer au « on dit comme ca parce que c’est comme ca en francais ».

    Hugs from ever sunny Texas
    Nicholas

  2. Bonjour Suppaiku,

    l’utilisation des temps et des aspects est difficile a enseigner et a maitriser. Ici a l’Universite du Texas, une equipe de professeur a developper une methode pour enseigner ces points particulierement problematiques: les articles, la narratologie (comment on emploie les differents temps du passe et aussi le present… ) et tous les autres casse-tetes des professeurs de FLE. Dans notre departement de linguistique francaise, on pense beaucoup au sort des emissaires de la langue comme toi. On s’appuie sur les derniers courants de linguistique theorique pour aider l’enseignement. Si ca t’interesse, le livre n’est pas sorti mais j’ai les epreuves. Juste au cas ou tu voudrais parer au « on dit comme ca parce que c’est comme ca en francais ».

    Hugs from ever sunny Texas
    Nicholas

  3. Cette grotte… On pourrait peut-être la voir dans un épisode de Trick (avec du chamanisme et Ueda qui se cogne la tête à l’entrée…)

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