Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Paula fait le ménage


Paula venait de refermer la porte. Un bruit étrange avait traversé le palier, mais elle s’était dirigée presque mécaniquement jusque chez elle. En fermant la porte, elle avait bien entendu les portes des voisins s’ouvrir et peut être même quelques voix, mais elle n’y avait finalement pas prêté attention.


Voilà, elle était bien, maintenant. Chez elle tout était redevenu tranquille. Pas comme cet après-midi où le petit n’avait pas arrêté de pleurer, elle en était devenue folle. Dehors, il faisait très chaud, elle ne voulait pas sortir. Hier, à la même heure, elle s’était bien promenée avec lui mais il avait du attraper quelque chose, il avait été malade toute la nuit, elle n’avait pas pu fermer l’œil.
Elle s’assit à la table, attrapa un paquet de cigarettes, en prit une, la regarda quelques secondes puis l’alluma avec le briquet vert qui trainait à côté du vieux télé 7 jours sous le pot de Blédina aux carottes garanti en vitamines de croissances. Elle sourit et pensa profondément qu’il fallait faire le ménage. Tiens, oui, depuis quand elle devait le faire… Elle tira une grosse bouffée, retint la fumée une demi seconde et recracha le tout, se leva et alla prendre un sac poubelle dans la cuisine en trainant ses savates sur le carrelage, zaaat zaaaat zaat zaaaat…

Quelqu’un tapait à la porte.
– ça va ?

Paula fit mine de ne pas entendre, ou peut-être même n’entendit elle pas, elle venait de commencer à vider l’évier encombré de la vaisselle de la veille, de l’avant veille et peut être même des jours d’avant, jetant ici les pots du petit, là un reste de poulet ou encore un hamburger à moitié mangé, les emballages plastiques et les boîtes en cartons éventrées. Ça sent, elle pensa.

La cuisine était silencieuse, les coups sur la porte ne s’en faisaient que plus bruyants.
– ça va ? Ouvrez, s’il vous plait, ouvrez !

Elle n’entendait pas vraiment, finalement, ou plutôt elle ne voulait rien entendre. Elle continuait son ménage, tirant parfois sur sa cigarette à grosse gorgée et laissant tomber les cendres un peu au hasard. Ils vont le réveiller, pensait elle. Elle était parvenue bien difficilement à obtenir ce silence, ils allaient tout gâcher.
– ouvrez, s’il vous plait. Ça va bien ? On a entendu du bruit, on veut savoir si vous allez bien, répondez !

Mais elle était fermée et n’entendait pas vraiment, ou plutôt si, un lointain écho, un bruit venu d’ailleurs, qui ne la concernait pas mais qui la troublait et qui allait réveiller son petit Michel, qu’elle pensait.
Michel était né il y avait environ quinze jours, ça, elle s’en souvenait bien : c’était ce jour là que cet enfoiré d’Édouard l’avait quittée en la traitant de connasse. Peu après son départ, elle avait senti les premières contractions, et Michel était né. Elle avait choisi Michel un peu au hasard. C’était le prénom de son père, et elle détestait son père.
– ouvrez ! Ouvrez !

Elle délaissa le grand sac désormais bien rempli et retourna dans le salon. Le petit lit était placé juste devant le canapé qu’elle avait acheté à crédit chez Ikéa© quelques semaines avant l’accouchement, afin d’y faire de profondes siestes. C’était cette merde d’Édouard qui l’avait choisi, elle, elle aurait préféré la liseuse d’angle, où elle aurait pu s’allonger mais cette enflure d’Édouard lui avait dit qu’il voulait aussi en profiter, alors ils s’étaient mis d’accord sur ce grand canapé, et elle avait payé. Lui, il ne travaillait pas, c’était un « artiste ». Il touchait son allocation, disparaissait quelques jours et revenait, s’excusant quelques minutes avant de se vider dans sa chatte puis de filer vider le frigo en faisant des remarques .
– putain, je t’ai déjà dit que j’aime pas la Heineken, tu fais vraiment chier, hein…

Elle n’avait jamais vraiment bien compris pourquoi elle vivait avec lui. Après tout, il ne la frappait même pas. Elle s’était juste résignée à sa présence, une sorte de bruit de fond avec une queue, jusqu’à ce qu’il rencontre une autre fille dont elle ignorait le nom. Il avait commencé à s’absenter de plus en plus souvent, alors, elle lui avait demandé de faire un effort, d’assumer qu’il allait devenir père.
– mais c’est ton mioche, t’avais qu’à prendre la pilule, je m’en tape, de ce gosse. Ça fait déjà trois mois que t’es même plus baisable, tu crois quand même pas que je vais m’occuper de ce chiard ?
Elle s’était mise à sangloter. Elle avait toujours su qu’il ne l’aimait pas.
– ah non, hein, tu me fais pas le coup des larmes, hein, gnagnagna… C’est toi qui l’a voulu, ce gosse, alors t’assumes. Moi, il me dérange pas, mais je veux pas m’en occuper. J’ai pas de taf, alors, hein…
– tu pourrais essayer de trouver un truc, je sais pas…
– mais tu fais chier, merde ! Si je me mets à bosser, je vais plus rien foutre, merde ! Je suis sur un truc, avec des potes, on remonte un groupe, alors si je me mets à taffer, je vais plus avoir le temps pour mes répet’…
– mais pour l’argent…
– t’as tes allocs, oui ou non… Donc c’est bon ! T’es toujours en train de tout compliquer…
– mais…
– tu fais chier, t’es qu’une connasse, va te faire foutre !
Et puis il était parti, elle avait accouché, et il n’était pas revenu.

– ouvrez !
Ça tapait fort, maintenant, il devait y avoir au moins cinq ou six personnes. Et puis le bruit cessa, on entendait des voix. Et puis il y eu un cri, et de nouveau on frappa.
– mademoiselle Esteban, ouvrez ! C’est la police !
On distinguait bien qu’une femme était en train de pleurer,
– oh mon Dieu, non, non….
Mais Paula, qui s’était assise sur le canapé regardait fixement le berceau silencieux, sans réaction. Alors elle se leva, fit quelques pas, et se pencha pour prendre Michel dans ses bras. Les berceau était vide. Elle hurla,
– Michel, Michel !
La police enfonça la porte dans un énorme fracas, la voix de la voisine en larme était désormais très claire,
– mon Dieu…
Un officier se dirigea vers Paula qui suffoquait maintenant,
– où est mon bébé, où est mon bébé ?
Deux autres inspecteurs commençaient à tourner dans l’appartement rempli de détritus, de couches culottes salies et séchées, de petits pots et de vêtements. Ça sentait mauvais.
– mon bébé, où est mon bébé ?
L’officier la prit par le bras.
– lâchez-moi, mais lâchez-moi !
Elle hurlait, commençait à se débattre. Les deux officiers se dirigèrent vers la porte,
– sortez, il n’y a plus rien à voir. Merci d’avoir appelé.
Les cris se faisaient plus fort et plus violents, d’autres voisins s’étaient désormais rassemblés sur le palier de cette grande tour du 13ème arrondissement. Les pompiers et deux docteurs passèrent, rentrèrent dans l’appartement.
– mais qu’est-ce qui se passe ?
– elle a tué son bébé ! Pauv’ bonhomme… Pas quinze jours…
– comment elle a fait ?
– elle l’a mis dans le vide-ordure ! Je suis contre la peine de mort, mais là, quand même…

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Commentaires

Une réponse à “Paula fait le ménage”

  1. Très bien cette nouvelle. J'aime votre écriture. Pas de pathos. Simple. efficace. Et en demi-teinte quand même.

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