Les âges de la vie. Automne.

L

Cela fait des années que je me suis habitué à l’idée de vieillir, alors, prendre pied dans la cinquantaine est une idée qui s’est installée et avec laquelle je me suis familiarisé

Il faudra un jour que je compile les articles que je n’ai pas postes. Je ne les trouve pas bien, alors je les ecrits et puis je les oublies. J’en ai beaucoup, vraiment beaucoup.
Ce matin, alors que je m’etais connecte sur mon blog pour y effectuer quelques mises a jour (eh oui, c’est aussi cela, avoir son propre site et non passer par une plateforme de blog), j’ai constate qu’un de mes articles ecrit en 2008 avait ete lu plus de 150 fois le mois dernier. J’ai lu les informations sur les les clics d’origine (eh oui, on peut faire ca aussi, savoir sur quel site les visiteurs ont trouve un lien vers mon site), et j’ai constate que tous la plupart des clics etaient des clics internes, bref, que vous etes un certain nombre a vous promener sur mon blog, et que peut etre vous cliquez sur ces suggestions en bas de page, et que parmi les suggestions tel ou tel article doit sortir plus souvent.
J’avais eu la meme chose il y a quelques annees, mais la, c’etait du hacking, un de mes articles etait bombarde de commentaires, j’ai du le retirer purement et simplement avant de le reediter et l’antidater avec un titre different. C’est depuis ce moment la que j’observe regulierement les connections entrentes.
J’ai donc moi-meme relu cet article et j’ai retrouve la fraicheur de son ecriture. Kasai, mes promenades dans Koto-ku vers Monzen-Nakacho… Comme le temps passe.

Je vous dis « le temps passe », oui. Je suis arrive au Japon j’avais 40 ans, j’en ai 51 depuis deux semaines. J’ai d’ailleurs recu un tres gentil message d’une lectrice ce jour la.
Et si je vous partageais, tiens, maintenant, la, comme ca, un de ces billets de blog que je n’ai pas publie, au sujet de mes 51 ans, justement, et de la jeunesse, et de l’illusion d’etre beau, et de l’illusion d’etre jeune… Ca sera toujours un de ces billets abandonnes qui surgiront a la lumiere…

« 51 plus quelques jours…
Depuis mercredi, j’ai 51 ans. Même pas mal. Cela fait des années que je me suis habitué à l’idée de vieillir, alors, prendre pied dans la cinquantaine est une idée qui s’est installée et avec laquelle je me suis familiarisé.
Des fois, des regrets me traversent. Ne pas avoir dit, ne pas avoir fait, avoir dit ou avoir fait, mais qu’y puis-je… ce qui est fait est fait, ce qui est dit est dit à jamais, et les silences ou les occasions manquées évanouis à jamais. J’ai acquis une philosophie particulière à ce sujet. Je pense que je ne serais jamais parvenu à cette « sagesse » sans être passé par l’analyse, mais je ne pense pas non plus que ce soit l’analyse qui m’ait conduit à ces conclusions.

Vous le savez, j’ai perdu beaucoup de poids il y a quelques années. Quand je dis beaucoup, je parle d’une vingtaine de kilos. J’en ai repris un peu entre temps, toujours pour les mêmes raisons et sans trop m’en alarmer, mais finalement, alors que j’écris ces lignes, je peux affirmer que j’en suis définitivement venu à bout.
Pendant des années, je me suis battu avec moi, et pour tout dire je n’acceptais pas mon corps tel qu’il était. J’ai passé ma vie à faire des régimes, espérant pouvoir enfin me réconcilier avec cet ennemi en moi. Et chaque fois, je reprenais ce poids, en en ajoutant toujours un petit peu plus, et voilà comment j’ai vu la balance dépasser 70, 80, 90… Quand j’ai eu atteint 94 kilos, j’ai commencé à penser que c’était vain, et que je devrais m’habituer à ce corps et à ce poids, mon soucis était que lors d’un examen médical, le docteur m’avait fait remarquer que mon cholestérol était un peu élevé. Et puis, j’ai commencé à avoir des douleurs à la cheville, et puis au genou, pas celui où j’ai été opéré, l’autre, celui qui durant un mois a du supporter ma démarche bancale. Parfois, je me mettais à transpirer, aussi. Toutes celles et tous ceux qui sont en surpoids savent de quoi je parle.

Maigrir pour être beau est une erreur. Maigrir pour pouvoir se regarder dans la glace est une erreur. Maigrir pour les autres est une erreur, et c’est cette erreur qui nous guide vers ces régimes débiles, parfois très violents, et qui dans le fond ne résolvent pas le problème de base: à l’arrivée, on trouve toujours que notre corps n’est pas assez ceci ou cela, et puis on reprend vite puisqu’on « reprend une alimentation normale ».
J’ai donc renoncé au régime et j’ai commencé à accepter ce que je voyais dans la glace: c’est moi, me suis-je mis à penser. De toute façon, j’avais déjà dépassé les 45 ans, à quoi bon…
Durant la douche, je me suis mis à me regarder, regarder les bourrelets, les plis, le double menton qui s’affirmait. En même temps que je me mettais à accepter ces 94 kilos, j’ai pris conscience que je me levais le matin lourd, et j’ai commencé à faire le lien entre mes articulations et mon surpoids. Courir était devenu un vrai calvaire, quand j’y repense, j’étais de plus en plus facilement essoufflé. Et puis je suis sous tritherapie, et c’est un traitement tres lourd, avec une incidence certaine sur le coeur, le cholesterol, le diabete…

Fin octobre 2011, une étudiante m’a offert une bonne quinzaine de kakis, ces fruits d’automne que l’on trouve partout entre septembre et novembre. Je n’en avais jamais goûté depuis mon installation en 2006, je gardais de celui que j’avais essayé de manger en France une sensation désagréable, rêche en bouche. J’ai eu envie de les jeter, et puis j’ai regardé sur le net et j’ai vu qu’on pouvait les laisser mûrir pour qu’ils deviennent plus tendre. Et c’est comme ça qu’un matin une aventure qui dure a commencé. Un matin, je n’ai pas mangé de pain, je n’ai pas mangé de beurre, j’ai mangé un kaki et je me suis servi des céréales, il m’en restait dans un coin, pas mangées depuis des lustres. Le kaki au petit déjeuné a été une vraie révélation, sucré, fondant, et si goûteux.

J’ai totalement revu ma façon de manger, à tâtons, et en essayant, chaque fois que je m’écartais de mes nouveaux principes, de ne pas culpabiliser, de me donner du temps, de la durée. De toute façon, j’avais appris à vivre avec mon corps tel qu’il était, il n’y avait pas de raison de m’affoler. Je ne pense même pas que le but était de maigrir, juste une envie de me sentir mieux le matin au réveil. C’est pour cela que je n’ai supprimé aucun aliment, j’ai continué à manger de tout, même du riz, même du beurre, même de l’huile, mais comme je le disais quand on m’interrogeait, pas dans les mêmes quantités. Le beurre, c’était vraiment très peu et principalement pour le goût, et sur les légumes cuits à la vapeur: c’est juste divin. En réalité, les légumes vapeurs sont très goûteux, surtout la pomme de terre, ils n’ont pas fondamental besoin de matière grasse. La noix de beurre, c’était le petit truc en plus. Une pomme de terre, des haricots verts, une carotte, un poireau, un bol de riz et une tranche de saumon grillé arrosé de sauce soja qu’on laisse griller dans la poêle, simplement fantastique… J’ai appris à attendre pour manger, à cuisiner chaque soir. Le midi, je me contentais d’un simple sandwich avec de l’avocat, de la tomate, de la salade et des crevette, et un peu de mayonnaise. Oui, de la mayonnaise. Et j’ai commencé, très doucement, à perdre du poids. Très très doucement. Lors de mon départ pour Kyôto fin décembre, je ne pesais plus que 89 kilos. 5 kilos en deux mois, en mangeant.
La surprise est venue juste avant les vacances, justement. Un soir, je devais attraper mon train, je me suis mis à courir, et non seulement je l’ai attrapé, mon train, mais surtout je n’étais pas essoufflé et je ne suais pas. Progressivement mes douleurs articulatoires se sont estompées, elles ont aujourd’hui totalement disparu. Lors des examens médicaux, j’ai une composition sanguine impeccable. Ça compte, quand on est séropositif.
Progressivement, j’ai vu mon corps changer, les rides que le poids estompait sont apparues plus nettes, ma pomme d’Adam a commencé à saillir, mon visage s’est affiné.

Je ne pense pas que j’aurais réussi à tenir des mois et des mois si j’avais méprisé mon corps, et je ne pense pas que j’aurais continué de manger de la même façon si je n’avais pas fait de mon alimentation une forme de principe en soi. J’aurais repris mon poids.

C’est en renonçant au mirage du corps mince que j’ai maigri. Ce que je recherchais, c’était beaucoup plus l’aisance, l’agilité, la souplesse. C’était pouvoir bouger, pouvoir courir, sans avoir mal ni n’être fatigué. C’était habiter tout mon corps.
Ce matin, je pesais 76 kilos.

Je crois que c’est la même chose, en fait, l’âge, la vie. Nous vivons dans une société qui encense la jeunesse, la vitalité de la jeunesse, la dérision de la jeunesse, la légèreté de la jeunesse, et nous en avons oublié que la jeunesse n’est qu’un concept de la société marchande au même titre que les corps body buildés et minces des magazines. Notre définition du bonheur a été produite par la société marchande, avide de vitesse et d’un humour jeune né au tournant des années 60.
La jeunesse, c’est un truc de vieux, c’est juste l’idée que l’on s’en fait, et on passe son temps à courir après avec la même violence destructrice que ces régimes qui nous affament sans jamais nous satisfaire.
La chirurgie nous refait la gueule, mais elle ne peut rien contre ce qui est dedans. On le sait, qu’on est vieux. Aucune crème, aucun club de gym n’effaceront ce que l’on a encaissé, ce que l’on a morphlé, ce que l’on a dit de mal comme ce que l’on n’a pas dit, ce que l’on a fait de mal, ce que l’on a mal fait comme ce que l’on n’a pas fait, et c’est cela qui fait le plus mal dans la vieillesse.
Lundi, alors que j’étais assis en train de manger un sandwich, j’ai vu passer une femme pathétique, sans âge, refaite, elle avait du se faire gonfler la peau du visage pour effacer les rides, elle sentait le Botox à vingt kilomètres, mais ses mains, sa posture voûtée trahissait son âge. Elle était riche, cela se voyait, mais jamais, jamais je ne voudrais avoir l’air misérable qu’elle exhibait maladroitement. La haine de soi ne porte pas d’autre visage.

J’ai 51 ans, je suis en route vers la vieillesse. Plutôt que courir après une vie qui ne m’appartient pas, je préfère cultiver mes souvenirs, tous mes souvenirs. Et regarder les gamins, leur bonheur, leur naïveté, leurs espoirs. Je m’y retrouve parfois, et je souris en dedans, je ne leur parle pas mais un dialogue secret s’instaure en dedans de moi, et des fois je suis sûr qu’ils voient mon sourire en coin. Ben oui, j’ai été jeune, moi aussi. Chacun son tour.
Jamais, jamais je ne chercherai à dicter des codes aux gamins, et j’espère bien ne jamais avoir la tentation de ressembler à un gamin, c’est pathétique, et c’est vraiment un truc de vieux, c’est une course désespérée, perdue d’avance, c’est la loose assurée.
C’est comme perdre du poids « pour être beau ». On peut être beau avec du poids comme on peut être laid et mince. Cette femme, avec sa tête de poupée d’âge incertain, était d’une beauté effrayante, profondément laide. À l’opposé de mon étudiante Reiko, 79 ans, toute vieille, les mains tremblantes, dont les yeux perçants racontent une vie longue et bien remplie, et la voix comme les expressions sont celles d’une grand mère attendrissante. Elle est bien vieille, Reiko, mais qu’est-ce qu’elle est jolie…

Voilà. Plutôt que de courir après un passé, j’apprends chaque jour à m’aimer au présent, à mon âge et à l’âge qui vient. J’apprends à respecter ma vie avec la même curiosité que j’apprends à aimer un corps que j’ai longtemps méprisé et maltraité à coup de régimes violents.

Je ne sais absolument pas ce que demain sera, devant moi sont des possibilités nombreuses mais que j’hésite à saisir. Ça, c’est une véritable erreur, et je le sais. J’hésite car pendant longtemps j’ai foncé tête baissée, longtemps j’ai saccagé ce que j’avais pour une lubie, et puis après c’était trop tard et il fallait tout recommencer.
Mais je sais aussi que je dois désormais m’y mettre. Il y a peu de temps, j’ai eu cette idée tragique, une vraie idée de notre temps. J’ai pensé que si je mourais, il n’y aurait personne pour payer le renouvellement du nom de domaine de ce site ni personne pour renouveler la location du serveur, et je disparaîtrais à jamais sans avoir rien accompli, moi qui enfant débordait de tant de rêves, de tant d’envies. Ça m’a rendu triste un instant.
C’est cruel, l’existence, c’est cruel, renoncer à l’ego, au sentiment d’être.
Et puis après, j’ai juste pensé que ce serait dommage mais que je ne serai plus là pour manquer au monde. Après tout, je suis unique mais je ne suis pas le seul, nous sommes des milliards à avoir l’orgueil de nous placer au centre du monde. »

C’etait cela, ma pensee des cinquante et un ans. Je me relis a l’instant, et je trouve cela tres juste, et j’en ai le coeur serre. Parce qu’a mon age, si on ne comprends pas que vivre, c’est apprendre a mourir, on passe a cote de beaucoup de choses.
Je crois ne jamais avoir ete aussi heureux que maintenant, pas un bonheur niais, pas un bonheur beat. Ni meme une illusion. J’ai effleure trop de fois mon propre neant pour ne plus etre dupe de mes illusions. Un bonheur simple, ce que j’ai, ce que j’ai fait, ce que je suis, ou j’en suis, et le sentiment profond que c’est a cet endroit que chaque jour est un present renouvele.

Alors resolution numero un. J’ouvre mon blog tous les jours et j’y ecrit tout et n’importe quoi. on verra bien ou tout cela me menera.

De Tokyo, Madjid

Commentaires

  • Hello !
    Nous étions à l’inalco ensemble, mais nous n’avons jamais échangé. Je te connais simplement de vue.
    Juste un petit message pour te dire que cet article était vraiment touchant. Tous les brouillons ne sont pas bons à rester à ce stade. Merci de ce partage.

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