UNE HISTOIRE DE CORBEAU

Oui, mon « cher corbeau », je reste fidèle à celui que tu as connu, j’ai assez peu changé, juste mûri…

Je reçois parfois des commentaires, parfois des courriers, des fois des correspondances directes sur mon compte Facebook. C’est touchant, des fois.

Je me souviens de ce jeune garçon qui avait à peine dix-huit ans, avait eu un rapport sexuel non protégé avec une jeune japonaise et angoissait d’avoir attrapé de VIH. J’avais été très touché par ce type de confession.

D’autres fois, ce sont des messages très intimes, la lecture d’un de mes billets ayant ravivé une douleur ou un souvenir. Cela aussi, ça me touche beaucoup. J’écris pour cela, vous savez, parce que j’aime partager ce qui est au fond de moi.

Je crois que parmi mes lecteurs, il y en a beaucoup qui me passent beaucoup, mes idées qui ne leur plaisent pas totalement, ou la politique parfois envahissante, ils me passent tout car en même temps je ne me dissimule pas, je suis tel que je suis, et entre eux et moi un fil invisible s’est tissé au fil des ans.

Je vous remercie pour cela.

Vous êtes parfois plus de cinq cent à me lire en une journée. Plus régulièrement, mon site est fréquenté par deux à trois cent lecteurs quotidiens. J’aime voir notamment quels anciens articles vous lisez, j’aime savoir que vous piochez, cela me touche et cela me raconte beaucoup sur vous. Deux à trois cent, c’est très modeste, j’en conviens, je ne donne pas dans le truc à clic, je vous épargne les publicités, et je cherche régulièrement s’il n’y a pas un nouveau template pour rendre votre visite plus agréable – vous avez même été victime récemment d’un relooking « colorful » « brutal » qui n’aura duré que quelques semaines avant de revenir à ce noir et blanc qui finalement me va si bien.

La couleur, c’est bien dans la vie, ce n’est pas fait pour se flinguer les yeux.

La couleur dans la vie, venons-en là. Il y a des gens qui n’ont rien de mieux à faire que de patauger dans la fosse septique qui leur sert d’existence et, parmi eux, il y a les « corbeaux ». Je dis « corbeau » et non balance. La balance dénonce à une autorité, elle est fière d’elle même. Un corbeau est anonyme.

Parmi les nombreux messages que j’ai reçus, et certains ont parfois été immondes, violents, c’est un peu le jeu, hein, mais j’ai reçu il y a quelques mois un message d’un genre particulier.

Un « corbeau ».

Par corbeau, j’entends quelqu’un qui me connait, ou ici pour être précis, quelqu’un qui m’a connu, et qui me donne des éléments pour que je comprenne que nous nous sommes connus.

Fait rare, j’ai traité son message, laissé sur un article, d’une façon très particulière: je l’ai édité puis je l’ai posté, modifié par mes soins pour n’en faire qu’une sorte de crotte ridicule et avec l’espoir que ce « corbeau » verrait qui est maître chez moi. C’est la première fois que je réagissais ainsi. Il faut dire que ce type de message, d’intrusion presqu’intime, mais non signée, est assez troublante.

Quelques jours plus tard, enfin, j’ai effacé ce message pour une raison très simple.

Ce salopard avait commenté sur un article où je ne parlais pas spécifiquement de moi, mais où j’évoquais une époque à travers la personne de Pierre Geismar, et le choc ressenti quand j’avais appris sa mort, si jeune.

On n’a pas le droit de mourir si jeune, et même aujourd’hui quand j’y pense je suis triste, je revois ses cheveux en désordre, le gamin à l’époque où j’étais au Parti Socialiste, son frère François, et puis je le revois quelques années plus tard, l’invitant chez Pascal-Abel, vers 1993, et puis en 1995, peut être une des dernières fois où je l’avais vu, on s’était croisés par hasard, on avait pris un café vers Censier. J’aimais sa vivacité, même si la dernière fois je l’avais trouvé plus sérieux, j’avais pensé « voilà qu’il est devenu un homme ». Je me souviens son colocataire, un beau mec blond.

Ça, bien entendu, mon « corbeau » ne pouvait pas le savoir, qu’il m’était arrivé de revoir Pierre Geismar, car je n’en parle pas, d’ailleurs, dans mon billet.

Mon « corbeau » se contente d’un procédé qui est précisément celui du corbeau: montrer qu’il me connaissait, ou qu’il m’avait connu. Ça a mis des mois à tourner en « tâche de fond » dans ma tête, qui donc cela pouvait-il être, car à son message, il fallait qu’il me fut proche.

Bien entendu, il me traite d’islamo-gauchiste, de complice du PIR entre autres insultes, et il se permet de me dire que « je n’ai connu personne », au sujet de Pierre.

Ça, ça m’a blessé, bien plus que d’autres choses, et bien plus que me dire que j’avais été « un larbin rocardien ».

Je n’ai jamais dissimulé, sur ce blog ou ailleurs, mon adhésion au Parti Socialiste, ni le fait que j’avais été rocardien, ni même le fait que j’avais milité activement dans ma section. Je n’ai jamais été permanent, ni élu, et en fait de « larbin », n’ayant milité que deux ans puis m’étant mis à sécher les réunions avant de laisser tomber, j’avoue que l’accusation, si c’en est une, m’a plutôt fait sourire.

Mais mon « corbeau » ne crois pas si bien dire quand il dessine ce qui lui semble un parcours heurté allant de Rocard au PIR, car dans les deux cas, il y a l’Algérie, il y a l’immigration, et le porteur de valises pro-palestinien Michel Rocard avait à cet égard une histoire autrement plus sympathique à mes yeux que tous les autres au PS.

Je précise, je ne suis pas membre du PIR, je ne le cacherais pas si j’y étais, mais ça ne me gène pas de dire que dans le vide politique actuel, le PIR, le « camp décolonial », me semble occuper un terrain essentiel autours duquel à mon avis il est urgent de rebâtir et repenser.

Qui me connait sait parfaitement que je reste attaché à une pluralité politique mêlant réflexion et pratique de terrain qu’avait su incarner le PSU, l’autre gauche. Oui, mon « cher corbeau », je reste fidèle à celui que tu as connu, j’ai assez peu changé, juste mûri.

Peut être le regret de n’avoir pas été plus conscient de certaines choses avant.

Quand j’ai rencontré l’hiver dernier Youssef Boussoumah du PIR, j’ai été vraiment très gêné, je veux dire, ce mec, c’est comme Didier Lestrade, c’est un mec bien, et qui a été non seulement de beaucoup de luttes, mais en plus il est cultivé, drôle et super simple à la fois.

Moi, je ne suis qu’une crotte, « militer au PS », je veux dire, bon, je suis aussi passé par Act-Up, ce que bien entendu n’a pas fait mon « corbeau », et puis j’ai fait des trucs, quand même, mais cela était si confortable quand en fait j’aurais pu faire tellement plus, ou autrement, ou…

Enfin. J’ai mis trop de temps à comprendre que je suis un artiste, un électron libre, pas comme mon « corbeau » qui lui a depuis longtemps perdu et sa liberté, et son énergie pour goutter les eaux fétides dans lesquelles Céline avait pataugé avant lui.

Ça a fait tilt ce week end, j’étais en train de regarder des fleurs, promenade du dimanche sous le soleil, et puis ça a été évident.

Mon « corbeau », qui a décidé d’écrire anonymement la diarrhée qui lui sort du cerveau quand il pense à sa vie de merde avec son salaire de chiasse pour un boulot qu’il vomît dans un quartier à chier, avec son « faut faire barrage à Marine Le Pen » suivi d’un dégobillé digne de Renaud Camus sur l’invasion musulmane, avec son crédit immobilier à la con et son bonheur de canapé d’angle quatre place en cuir blanc et descente de lit en moumoute rose (je dis ça, j’en sais rien, je pourrais dire ses slips amidonnés repassés s’il avait été de droite et bourgeois, mais en fait, j’avoue que je m’en contre-fiche, grave!), ben, je sais qui c’est. Je vais même avoir l’élégance de ne pas le nommer, pour le faire mariner dans son jus « peut-être il ne sait pas que c’est moi, il dit ça, c’est tout ».

Je vous dis, ça a été comme un truc en fond, mon cerveau analysant des données.

Ça a été mon travail pendant 4 ans, les « investigations », à BNP-Paribas, et j’étais très bon. Chercher pourquoi un paiement n’était pas passé, une erreur dans un contrat de swap, dans un Swift ©, dans un taux, dans une date de valeur.

Mon cerveau a, durant quatre mois, mis dans un coin l’intégralité des données du message du « corbeau ».

Il a dès le départ été saisi par la noirceur de l’âme, son envie de piquer, de faire mal, incapable de comprendre que depuis 2003, rien ne me fait plus mal, sauf toucher quelqu’un qui n’y est pour rien, comme Pierre, qu’il était abject de convoquer pour une telle Cabale.

Un esprit aigri par sa propre vie. Quelqu’un qui a fondé son jugement sur les années 1986/87, quand j’étais militant actif du PS et où je l’ai rencontré forcément, puis qui n’a pas vraiment suivi la suite avant de ne plus suivre du tout. Quelqu’un qui était venu chez moi, aussi, et là, cela réduit drastiquement le nombre de personnes, et qui a connu Pierre. Pas François, son frère, qui m’a retrouvé grâce à ce billet de blog et m’a écrit des messages par la suite.

Quelqu’un qui n’a pas vraiment milité, en tout cas pas autant que moi, peut-être même quelqu’un qui a jalousé mon militantisme. Et là, ça réduit incroyablement le nombre de personnes.

Je l’imagine, mon « corbeau », avec son adresse email de « corbeau » (il est abonné à mon blog), déversant sa fiante dans les pages de commentaires du Monde ou de Médiapart, notamment durant la campagne électorale. Il y a des gens médiocres, hein.

Je ne suis pas parvenu à « lire Céline », je me suis arrêté dans « Le voyage au bout de la nuit » quand il arrive en Amérique, c’était à vomir, ce regard sur l’humain est un défi à tout ce que mes parents m’ont transmis. Je n’ai jamais compris les « gens de gauche » qui aiment Céline. Genet, il prenait de la merde, il en faisait de l’or, Céline, il pataugeait dans la merde même si finalement dans sa vie de chiasse il n’a jamais souffert que de sa propre médiocrité petite bourgeoise blanche.

Ma mère a ramassé les cageots de fruits et légumes invendus et jetés au marché pour nous nourrir, j’ai vu la peine tracer ses sillons sur son front, mais toujours elle sourit, et jamais elle n’a accusé l’autre pour ses malheurs. Mon père a lui aussi ramassé sur les marchés, il ramassait aussi les vêtements jetés, il se faisait traiter de « sale arabe rentre dans ton pays » par les agents de l’ANPE, j’ai souvent lu l’angoisse dans son regard, mais jamais d’accusation sur les individus, il restait dans le politique.

Mes parents étaient des Princes, comme dit Tony Gatlif, ils étaient nobles et m’ont transmis cela. Qu’on m’enterre le jour où je perds cette conscience de ma dignité, ma conscience de moi, humain.

J’aime quand un des lecteurs de mon blog m’écrit un petit mot, confesse une fragilité à la lecture d’une de mes fragilités, c’est cela, notre humanité.

Mon « corbeau » a réduit son existence à son cerveau reptilien, comme ces gens qui vendaient des Juifs durant l’occupation. Il ne contemple plus que les bobos qu’il s’est infligé à lui-même, il est réduit à une pensée cucul de concierge. Enfin, je dis ça, ma concierge, à Paris, elle avait l’esprit vif et c’était pas un « corbeau » pour deux ronds.

Je suis méchant, hein. Mais je le pense vraiment, et moi, à ta différence, je signe ce que j’écris, je manie le mot, le verbe, et je mets mon nom dessus. Et je peux écrire tout ce que je veux sur toi.

Toi, tu rampes et tu te caches. Il vaut mieux parce qu’une vie de merde, c’est vraiment la chiasse, et le monde est suffisamment moche comme ça.

Alors cher « corbeau », de la part de tous mes lecteurs et de ma part en particulier, je te souhaite une bonne continuation. Tu peux lâcher ton fromage autant que tu veux si cela te chante, je te le laisse. À Tôkyô où je vis, on mange incroyablement bien et me concernant, je suis très heureux parce que je vis la vie que je me suis choisie.


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