Paru dans la revue Minorités.org Dimanche 10 novembre 2013
Comme je vous l’expliquais dans mon dernier article paru dans Minorités, je tente de créer un site contributif algérien. Un exercice qui me conduit à croiser sur le net une grande variété de personnes aux intérêts, aux envies et aux activités très variées. Cela suscite un réel optimisme parce que j’y vois des personnes sorties des faux débats générés par le système en place depuis plus de 50 ans, des créateurs, des personnalités originales qui composent une sorte de possible alternatif.
Acôté de ça, c’est la douche froide quand je parcours l’actualité algérienne. Les détournements de fonds pour des montants qui renfloueraient la Grèce, des chantiers pharaoniques d’une qualité douteuse ne tenant visiblement pas compte des moindres normes antisismiques, réalisés par des consortiums chinois important la main d’œuvre mais versant vraisemblablement les commissions appropriées aux personnes adéquates, le verrouillage en cours de la création littéraire et cinématographique sous la férule de la ministre de la culture et ex passionaria Khalida Messaoudi, une pauvreté sans nom dans les trois quarts du pays et particulièrement dans les régions du sud alors que le pays recèle d’importants gisements d’hydrocarbures, de gaz et de phosphates, que la dette publique est proche de zéro et que les réserves de devises équivalent à trois à cinq ans de ventes de matières premières, que le gouvernement désormais prête de l’argent au FMI et se contente, quand le mécontentement gronde, de saupoudrer quelques subventions, utilisant ainsi la richesse du pays pour entretenir ce système clientéliste à l’origine d’une corruption dont vous ne pouvez même pas imaginer l’ampleur.
La société est comme anesthésiée par la corruption et tétanisée à la simple perspective qu’une révolution ramène les meurtres de cette guerre civile qui fit 200.000 morts et que le pouvoir est parvenu à rebaptiser à force d’explication sémantique « décennie noire », une tournure qui fait disparaître les victimes en même temps qu’elle exonère les bourreau et le pouvoir de toute responsabilité alors que ces meurtres de masse dans les populations civiles, ces assassinats d’intellectuels, d’artistes, de journalistes, de syndicalistes et les disparitions portent bien la marque d’une guerre.
Enfin, de grands moments de solitude quand je parcours les forums et commentaires sur Facebook ou sur les grands sites du web algérien comme Algérie-Focus. La haine, l’ignorance crasse, la méchanceté gratuite, une référence à une religion complètement desséchée et réduite à des slogans exprimés avec un vocabulaire grossier qui l’insulte : le système FLN inc. a produit à force de réformes scolaires et d’utilisation de la religion une sorte de bouillie faite de nationalisme et de superstition qui sous-entend que le bonheur semble être le bien le moins bien partagé.
Pire, le bonheur est une qualité impie qu’il faut combattre. Une pensée petite, méchante, grégaire, égoïste et repliée qui donne au pouvoir toute latitude pour se maintenir et prospérer car ces haineux qui vomissent sur le net leur inculture, bien que peu nombreux finalement, tétanisent la société. C’est le voisin jaloux, l’oncle qui vole l’héritage, la cousine qui dénonce sa sœur, le jeune qui agresse une jeune femme dans la rue, « pécheresse ».
Comment faire de la politique dans un tel bordel, comment espérer? Le plus fou est que justement les algériens n’abdiquent pas. Malgré le verrouillage, le retour d’une certaine sécurité permet aux plus créatifs de reprendre leur vie pour faire et créer. Malgré la propagande, il y a en Algérie de plus en plus de grèves, de manifestations. Quand en dernière instance la hogra (mépris hautain) ignore les doléances d’un jeune déclassé, celui-ci s’immole en place publique, renvoyant à ce pouvoir qui pense avoir imposé une trêve sociale que le feu couve et qu’une étincelle pourra embraser tout le pays. Le pouvoir a explosé toute opposition politique, il n’en demeure pas moins que l’insatisfaction est grande et la réalité du développement économique ne parvient pas à masquer la gabegie et la grande pauvreté.
Zak ne se cache pas
Zak, que je devais finir par croiser sur le net, est un enfant de ce pays. À 31 ans, il ose assumer une homosexualité à visage découvert en revendiquant l’abrogation des lois qui le condamnent à la prison. Sur sa page Zak l’irréligieux, il revendique son droit à penser ce qu’il veut, comme il veut, d’une façon souvent extrême. Parce que Zak est fatigué, comme beaucoup d’Algériens. À force d’espérer que ça change et ne rien voir changer, le découragement pointe. C’est peut être pour combattre ce découragement qu’il a, en quelques lignes, balancé à la face de tous son dégoût de l’hypocrisie ambiante et des petites lâchetés. Haut et fort, il a décidé de brandir sa sexualité comme une arme pour condamner le pouvoir algérien et ses prétendus opposants et prétendus démocrates dénués de tout courage quand il s’agit de défendre les droits les plus élémentaires des individus. Ce texte, que nous reproduisons ici, a eu l’effet d’une petite bombe dans le ronron politique où la seule question qui se pose est de savoir si le président, malgré une quasi incapacité, rempilera pour un quatrième mandat, ou si Yasmina Khadra fera un bon président.
Alors que je lui proposais de travailler avec moi pour Nedjma, je l’ai invité à nous expliquer le sens de cet appel ainsi que nous raconter sa vision des choses. Je lui ai posé quelques questions. Il n’a pas répondu à toutes. En fait, on a fini par chatter sur Skype.
Il en a gros sur la patate. On aurait pu espérer que les militants qui se définissent comme démocrates acceptent d’aborder la question de la répression et de la violence que subissent les homosexuels, c’est en réalité un black-out total. Zak s’emporte et me dit des militants qui sortent avec des slogans anti islamistes et démocrates, une fois rentrés chez eux reproduisent le même machisme que celui qu’ils reprochent aux autres… leur femme à la maison à s’occuper des enfants mais jamais aux manifestations… Alors les homosexuels, les lesbiennes, les transsexuelles et transsexuels, ça les dépasse totalement… Face à ce tabou qui cache mal la pratique diffusée de l’homosexualité dans toutes les strates de la société algérienne, les homosexuels « assumés » ne s’assument pas en réalité. Ils acceptent la situation précaire dans laquelle ils sont et ne montrent aucune solidarité, ni avec les autres « LGBT » quand une rafle, un meurtre ou la répression frappent, ni avec les femmes, ni même avec la détérioration du système de santé qui pourtant devrait les concerner. Car le VIH progresse en Algérie plus que dans tous les autres pays africains, peut être parce que parler de sexualité est simplement devenu impossible, et que toute politique de prévention est inexistante ou bien inopérante. Les témoignages de jeunes femmes vierges lors de leurs mariages et contaminées par leur mari abondent sur le net. Ils subissent les pénuries de médicaments, pourtant subventionnés mais souvent vendus en contrebande dans des pays voisins, et affrontent des hôpitaux en état de déshérence totale, tout ceci dans un pays qui aurait pourtant les moyens d’une politique de santé ambitieuse et novatrice. Une situation qui frappe également les cancéreux et les diabétiques, mais comme toujours, le VIH sert de révélateur à d’autres problématiques de marginalisation et de mécanismes d’exclusion. Zak enrage devant ces homosexuels qui non seulement ne se bougent pas, mais qui en plus ne se protègent pas. Sa page est rythmée par les rappels à l’obligation de se protéger. Que font les partis politiques ? Que fait l’état ? Rien, car les homosexuels non plus ne font rien, bien contents de pouvoir baisouiller sans trop que ça se sache…
Zak est fatigué, il dort mal. Après la publication de son pourtant très court manifeste, les menaces ont fusé, comme s’il avait, en mettant un visage sur des pratiques maintenues dans le non-dit et la clandestinité, exacerbé un refoulé fait de frustration et de virilité de pacotille. Il n’est pas sorti de chez lui pendant 15 jours.
J’ai un peu réorganisé ses réponses, écrites dans une sorte d’urgence, comme il me l’a demandé.
Zak. Our sister.
Manifeste, par Zak Ostmane (les corrections diverses sont de mon fait)
En Algérie chacun a son combat, moi je suis solidaire avec tout le monde : les militants des droits de l’Homme, la cause des femmes, le combat pour les libertés démocratiques, etc…
En revanche, tout ce beau monde n’a jamais manifesté sa solidarité avec moi, pour mes droits et revendications de la dépénalisation de l’homosexualité du Code Pénal qui condamne les homos en Algérie de 2 ans à 5 ans de prison ferme. Les islamistes, quant à eux, nous condamnent à une mort certaine…!!!
Je suis un jeune homosexuel, qui paye au quotidien le prix fort de mon orientation sexuelle que je n’ai cessé de revendiquer sans honte, car j’estime que c’est un droit élémentaire, indispensable, au développement de ma personne, à mon épanouissement, car les lois de la République algérienne ne cessent de réprimer tout ce qui n’entre pas dans la norme et le conformisme religieux et constitutionnel.
L’état Algérien fait dans la non assistance à personne en danger vis-à-vis de la communauté LGBT, en tout cas, mes amis, sachez que je ne cesserai jamais de revendiquer mon droit à choisir qui je veux aimer, ma part de bonheur, qui est aussi le droit de chacun d’entre nous.
Mes amis militants des libertés démocratiques, l’histoire seule sera témoin, vis-à-vis de cette situation honteuse et scandaleuse…!!!… que vous cautionnez à travers votre silence complice et assassin. Aujourd’hui j’accuse la presse algérienne, les intellectuels, les écrivains et les artistes de ce pays. Et avec les hommes politiques tout autant que vous, en premier lieu le premier magistrat du pays, indûment élu…
Oui, je vous accuse, tous, de ne rien faire pour changer une situation qui a trop duré et qui dure depuis toujours. Oui, personne ne vit le supplice et le martyr au quotidien dans une société homophobe à la base, avec des lois discriminatoires et répressives. Oui la république algérienne des frères alligators fait dans l’oppression et dans la répression vis à vis des homosexuels.
Donc, pour ceux qui veulent prendre le train de la modernité, d’un état de Droit, de l’émancipation de la société, et construire un véritable état démocratique respectueux des libertés individuelles et collectives, un état où les droits des êtres humains tels qu’ils sont décrits dans la déclaration des droits l’Homme, ne sont pas bafoués, j’écris ce pamphlet-manifeste en faveur des droits de la communauté LGBT en Algérie, car le silence et la complaisance ont toujours été des facteurs révélateurs des grandes tragédies humaines.
— Tu peux un peu nous parler de toi ? Tu vis où ? Tu as quel âge, tu fais quoi, enfin, toi, quoi !
Je suis un Algérien de 31 ans, je vis à Alger. J’exerce le métier de journaliste freelance. Depuis peu de temps, j’ai commencé une chronique dans un journal électronique tunisien, La chronique d’Alger, où j’ai entre autres fait le portrait de la chanteuse Biyouna ou celui de l’homme politique tunisien Chokri Belaïd, assassiné en février dernier, ou encore abordé la situation en Egypte.
J’ai fait connaissance avec le militantisme dès mon plus jeune âge à travers ma solidarité avec les victimes du terrorisme islamiste. Je tiens à dire que je suis fier d’avoir connu et accompagné les proches des victimes de la guerre civile des années 1990.
Cette année, il y a eu les sit-in en faveur des cancéreux, les victimes du système de santé Algérien, suite au constat que les hôpitaux sont devenus des cimetières. En juin, j’ai organisé avec d’autres militants une action devant l’hôpital Mustapha d’Alger, intitulée « Le val de grâce pour tous » (le président était alors hospitalisé au Val de Grace, NDLR) où j’ai été arrêté par la police. Une journée terrible car des arrestations massives ont vu le jour suite aux revendications des manifestants au droit à la santé qui sont des droits constitutionnels. N’oublions pas que la prise en charge des algériens est garantie la constitution.
Je me définis comme activiste, militant de la cause anti-autoritariste, opposé au pouvoir militaire, pour un état républicain, démocratique, et laïc. Très jeune, j’ai rejoints le MDS (Mouvement Démocratique et Social, ex-Parti Communiste clandestin, NDLR), la lutte que j’ai menée avec mes camarades, elle a coûté sacrifices et souffrances durant la guerre civile.
Pour des raisons évidentes, nous étions persécutés par le pouvoir militaire d’une part, et par des groupes terroristes islamistes d’autre part. Comme dans la population civile, beaucoup d’entre nous sont morts, victimes ciblées de ces groupes assassins.
Intimement touché et agressé par les violences et les discriminations faites aux femmes, je mène, avec mes camarades, régulièrement, des campagnes pour l’abrogation du code de la famille (code voté en 1984 et qui réduit la femme à l’état de mineure, NDLR) pour les droits des femmes en Algérie, et le monde dit « arabe » en général.
J’ai apporté mon soutien à Amina, ex Femen tunisienne, en dévoilant sur mon corps dénudé « Liberté pour Amina », ce qui m’a couté une agression à l’arme blanche et de nombreuses intimidations aussi bien dans les rues d’Alger que sur ma page Facebook.
Pour Amina, et malgré ces intimidations incessantes, j’ai organisé un sit-in devant l’ambassade de Tunisie à Alger le 30 mai 2013, le jour où elle devait passer devant le juge à Tunis. J’ai ensuite personnellement porté une pétition que j’ai pu remettre à un agent de l’ambassade, cette pétition contenait de nombreuses signatures demandant sa libération.
— Qu’est-ce qui t’a conduit à écrire ce manifeste, et qu’est-ce que ça a changé dans ta vie ? Tu me disais notamment que tu n’étais pas sorti de chez toi pendant deux semaines… Tu y avais pensé ?
Ce qui m’a conduit à écrire ce manifeste ? La hogra, les injustices vis-à-vis des homos et des lesbiennes… Que la chape de plomb cesse, l’homophobie, que ce soit des citoyens algériens ou du régime en place c’est pareil. Les lois de la république font de nous des criminels même quand nous n’avons pas de rapport sexuel, le code pénal algérien nous incrimine. C’est honteux, révoltant. Ce même système qui a usurpé le pouvoir par la violence au lendemain de l’Indépendance en 1962 est en train de se maintenir au pouvoir par la violence, notamment en répriment les droits élémentaires.
Ce que peuvent penser les autres de moi, je m’en contrefiche, ce n’est que du commérage de concierge (y’a pas de sot métier), de la jalousie, de la frustration de ne pas pouvoir vivre en dehors du placard, car ce sont des pédés ratés, qui ne s’assumeront jamais car l’intégrisme religieux ou l’hypocrisie les habite pour toujours… Eh bien, tant pis pour eux !
Mon combat en tant qu’homosexuel, c’est un combat certes pas facile, je suis conscient de la lourdeur de la tache et du danger auquel je m’expose, car les injustices dans lesquelles vivent les sociétés des pays du Maghreb relèvent de l’époque de l’inquisition, et quand une société en est là, elle tombe en décomposition !
Donc moi aujourd’hui j’ai pas choisi de lutter ou de combattre les dictatures militaires ou religieuses en place, c’est un état de fait, chaque personne qui se dit libre ou se reconnaissant démocrate devrait lutter contre ça, comment peut-on se taire devant de ça, cette invasion wahabite ou salafiste des pays du Golfe dans nos pays respectifs avec la bénédiction des régimes en place…
Aujourd’hui, je combattrai jusqu’où dernier souffle ces pompiers qui ne nous proposent que l’intégrisme comme seul rempart contre leur système dictatorial aigris, en total déphasage avec le temps, les peuples. Un système qui a fait de la génération 1990/1992 en Algérie une génération désenchantée, égarée sans aucun repère. Ces mêmes pompiers qui nous proposent d’éteindre le feu ne sont que des pyromanes. C’est ce même système qui avait fabriqué « l’homme Fis », des monstres robotisés près à l’emploi.
Lutter pour le droit de chacun à vivre dans la dignité, le respect, la justice sociale, c’est un droit universel, indispensable !
Ni dieu ! Ni maitre ! Chacun doit être libre de choisir par lui-même la vie qu’il veut mener. Les politiques, leur mission, c’est veiller à la sécurité comme le stipule la constitution, bien gérer le pays, mais pas de s’occuper de la vie privée (comme la police qui vérifie la virginité des jeune filles algériennes) ou procéder à l’arrestation de non jeûneurs (le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie avait invité à un rassemblement pour manger en public, NDLR) ou s’occuper des rapports entre Dieu et le citoyen. En tant que progressiste je prends ma force entre mes mains, mon combat est juste.
— Penses-tu que tu as amorcé un mouvement de visibilité ? En France, notre visibilité a été un mouvement très lent, ça a pris du temps, mais en même temps ce sont des personnes comme toi qui ont lancé ça. Tu t’en sens la force ? Tu ne te sens pas trop seul ?
Le combat le plus personnel, le plus difficile, est celui de mon quotidien, celui qui touche à ma propre dignité. Même si on ne veut en aucun cas la voir, ni reconnaitre son existence en Algérie, la communauté LGBT existe bien. Mon combat, c’est la dépénalisation des actes homosexuels entre les personnes majeures et consentantes, contre toute discrimination des personnes LGBT.
Cependant, je suis conscient que le problème est plus profond et que le travail est à mener avant tout dans le regard des gens que l’on croise tous les jours. Ce combat, je le mène à visage découvert et en plein jour, en dépit des risques pour moi même et pour mes proches. Toutes ces actions, vous les trouverez publiées sur ma page Facebook « Communauté « LGBT » algérienne». Elle permettra, j’en suis persuadé, de donner de l’espoir aux individus, à les faire sortir de leur isolement.
Nous avons grand besoin d’être présents et visibles dans ce type de manifestation. Nous avons grand besoin d’échanger avec les militants de la cause LGBT européenne dont l’expérience en matière de lutte contre les discriminations et pour les droits fondamentaux nous apportera beaucoup.
(propos recueillis par Skype et transcrits tels quels)
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