…les informations télévisées sont rapidement ennuyeuses, j’ai donc très vite pris mon iPad et parcouru Bloomberg. C’est vraiment très instable, je veux dire vraiment très instable…
Levé ce matin vers 8 heures trente, j’ai déjeuné en regardant la télévision. Le jeudi matin, c’est « le » jour où on a une chance d’entendre parlé de Fukushima. Et puis tranquillement, je me suis mis sur mon ordinateur pour continuer l’actualisation de mon site. J’ai ainsi décidé de reposter certains billets contenant des albums photo; ceux-ci seront archivés de façon plus visible dans la catégorie des albums. Cela me donne l’occasion d’éditer quelques photographies, en noir et blanc.
C’est vraiment intéressant, regarder d’anciennes photos. Les couleurs de l’automne, notamment, qui surgissent de l’écran alors que je ne m’y attendait pas.
C’est joli, l’automne, au Japon.
Les informations télévisées sont rapidement ennuyeuses, j’ai donc très vite pris mon iPad et parcouru Bloomberg. C’est vraiment très instable, je veux dire vraiment très instable.
Une économie dérégulée et mondialisée, c’est comme un gigantesque navire sans commandant navigant en vitesse automatique dans le Pacifique. Que survienne une tempête violente, un ouragan, des récifs et soudain le tangage prend une allure aléatoire. Au point où nous en somme, la coque fuit de toute part et le travail des banques centrales s’apparente à colmater, à vider l’eau qui envahit la cale, mais il y en a toujours plus, on rajoute donc des pompes, ce qui n’empêche ni l’eau de rentrer ni l’apparition de nouvelles brèches. La tempête, elle, semble parfois s’apaiser, alors les passagers pointent leur nez dehors et, nostalgiques du soleil d’autrefois, actionnent le gouvernail vers ce qui leur semble être un lieu magique, ignorant que d’autres cyclones s’y forment. L’accalmie est aussi l’occasion de pomper encore plus d’eau et, victorieux, quelque marin décident donc d’augmenter la vitesse. Des passagers refusent la prudence et retournent bronzer sur le pont en demandant qu’on en interdise bien l’accès aux passagers des classes inférieures, bien que ceux ci aient parfois participé lors de la précédente tempête au sauvetage de leur progéniture. Et puis le vent se lève de nouveau, les étages inférieurs sont de nouveau remplis d’eau, les passagers des ponts supérieurs leur demandent de se débrouiller eux même, ignorant, après tout il n’y a pas de commandant dans ce bateau, que ces masses d’eau augmenteront le tangage et causeront encore plus de dégâts quand la mer se démontera.
Nous en sommes là. Vous riez ? Après tout, peut être oui, je divague… Je vous parle de défaut, de chômage de masse et d’extrême précarité au Japon quand partout on vous dit que « le Japon, ce n’est pas pareil, la dette est intérieure et les Japonais acceptent de faibles intérêts qui permettent de financer le déficit à faible coût » et « maintenir le chômage à moins de 5% » dans « le pays des hautes technologies ». Alors que j’en remette une couche, là, non, arrête, Madjid, t’es qu’un prof de français et d’anglais dans de petites écoles pourries, une sorte de freak quoi, non, vraiment, arrête. On sait que c’est grave, tout le monde le dit, mais bon, Bernanke fait du quantative easing, donc tout va bien.
Bon, j’avais écrit dans mon blog fin 2008 (la dernière partie de ce long billet), quand l’opinion dominante était que c’était la fin du monde et que ce serait pire que 1929, que, Ben non, ce n’était pas si grave que ça car en fait, « mon Jugglar » ainsi que mon Kondratieff me suggéraient que la reprise économique serait forte et éviteraient une catastrophe, que l’iPhone annonçait un cycle économique court, ainsi que la forte baisse du pétrole allègeraient la facture. Et je ne me suis pas trompé!
Et je me souviens bien, j’avais une super boule dans le ventre en écrivant cela (ce qui explique ce ce soit si mal écrit, dans un style « volontaire »…). J’étais au chômage, partout tout était à l’arrêt, ça puait la déflation, et les informations se succédaient, toutes plus alarmistes, rythmées par la chute sans fin des indices boursiers. Oui, une grosse boule dans le ventre. Je me faisais l’impression d’être un fou tentant de se convaincre lui-même que tout irait bien. Mais en même temps, je vous assure, mes Jugglar et mes Kondratieff (concernant ces derniers, j’ai un profond désaccord avec les kondratieviens) étaient formels, et je décidais donc de tester grandeur nature en m’obstinant à dire que ce n’était pas si grave et que 2008 « n’était que » une redite de 1907 (la panique des banquiers) et non de 1929. On n’est pas très nombreux à connaître 1907, cette mécanique infernale qui nous a conduisit à 1914. Cette époque est connue pourtant comme la Belle Époque, et elle est une réelle période de prospérité économique, ce qui n’empêcha ni les crises, ni la pauvreté car le capitalisme est avant tout un système économique intrinsèquement irrationnel reposant sur des actes et des décisions individuelles. Et si la crise de 1907 signa la fin de l’hégémonie Française et Anglaise sur l’acier (« l’Internet » de cette époque, avec le Titanic à l’apogée), elle favorisa l’émergence de l’Allemagne et des États Unis, dont les coûts étaient bien moindres.
Comme je l’ai dit dans mon article pour Minorités, la prospérité du capitalisme, ce sont des taux de profits élevés. Et malgré le choc de 2008, les profits battent des record, et la croissance mondiale en 2010 et 2011 a atteint des niveaux inégalés jusqu’alors. Parler de crise pour l’Europe et les USA est donc poser le mauvais diagnostic quand il faudrait plutôt parler de déclin. Et plus cette zone s’adonnera au nationalisme, plus le déclin sera prononcé.
J’avais écrit à la même époque que le danger résiderait dans la tentation de résoudre la crise financière par plus de crédits dérivés. Partout, pourtant, régnait les discours sur « la régulation », alors qu’en fait, il était évident que nous utiliserions encore plus de dérivés car personne ne voudrait assumer l’incroyable chute de niveau de vie consécutive à un encadrement de leur activité.
Car il fait avouer qu‘une politique raisonnable dans la tempête aurait conduit à se doter d’un capitaine dans le bateau (une volonté politique), à stopper le bateau malgré la tempête (arrêter de faire des dérivés, laisser les grandes entreprises faire faillite si nécessaire) et demander aux passagers du pont de bien vouloir aider à colmater les brèches au lieu de se reposer sur les seules pompes (augmenter les impôts) afin de soulager les nombreux passagers des étages inférieurs (assurer la couverture du chômage de longue durée, partager le travail, etc). Seulement à cette condition là, le bateau aurait pu finalement reprendre sa course, réellement remis à flot. Mais comme le groupe des passagers des étages intermédiaires, nombreux eux aussi, peu touchés par les événements et rêvant d’accéder de temps en temps aux délices du pont continue de s’illusionner sur la solidité de ce qui ressemble de plus en plus à une épave où les passagers des ponts inférieurs ont dors et déjà les pieds dans l’eau, la situation empire. Aujourd’hui, le rafiot file à toute vitesse, la mer est démontée un peu partout, le vent continue de souffler. Les brèches s’élargissent et de plus en plus d’eau pénètre dans la cale, lestant le bateau et le rendant plus difficile à manœuvrer, mais sur le pont et aux étages intermédiaire, on applaudit à chaque annonce de l’installation d’une nouvelle pompe… Certains marins poussent les moteurs à plein régime. Tout ira bien…
Pour sortir de la crise financière, je savais qu’on aurait recours aux dérivés (après tout, j’en ai vu de près…), mais je pensais que pour le moins les banques opéreraient des réconciliations comptable de leur bilan à la valeur réelle du marché afin de nettoyer leur bilan, en profitant de la générosité des banques centrales pour se refinancer.
Quelle naïveté…
Elle ont utilisé les liquidités pour faire monter les bourses artificiellement, les capitaux se sont rués en Asie ou en Amérique latine. Elle ont gardé leurs millions de maisons vides pour ne pas inscrire leurs pertes. Cette abondance de liquidité a fait s’envoler les matières premières en s’investissant sur les marchés futures de Chicago, là où on achète aujourd’hui le blé ou le pétrole dont on aura besoin dans dix ans, fuellant une incroyable spéculation sur ce marché particulier et opaque.
Didier Lestrade m’a demandé à plusieurs reprises si je pouvais parler du marché des futures de Chicago, mais j’en suis bien incapable : je sais comment ça marche, c’est tout, mais c’est un marche a l’ancienne, ferme, pas transparent, ou tout le monde se connait. Bref, je ne connais pas vraiment… Brouillon…
Je sais que c’est un marché de gré à gré – de personne à personne -, de future – on paie une option d’achat sur une matière première à une date donnée, avec la possibilité de ne pas acheter cette matière première à ce moment là, dans ce cas on perd juste le coût de l’option -, et bien entendu, on peut revendre ou racheter ledit contrat en fonction de l’idée que l’on se fait du prix de la matière première quand approche l’échéance.
Vous achetez par exemple un contrat sur 100 millions de tonnes de pétrole pour septembre 2022 à disons 120 dollars le baril. Cela vous coûtera le prix de l’option, disons l’équivalent de 1 million de tonnes de pétrole. Votre idée est que le pétrole vaudra au minimum 121 dollar à cette échéance.
– Si les cours s’envolent avant, disons à 180 dollars, et que vous avez plusieurs contrats de ce type à 120 dollars, vous pouvez les revendre. Dans ce cas, vous pouvez négocier disons l’équivalent de un million de tonnes de pétrole, mais à, disons 150 dollars. L’acheteur fait une économie, en tout cas, s’il considère que les 180 dollars dureront jusque l’échéance du contrat. Et vous, vous réalisez votre plus value. Bien sur, vous vendez l’option si vous pensez que le prix baissera a échéance…
– Si les cours s’effondrent, vous avez deux possibilités. Soit vous pariez sur un rebond. Si le rebond se produit, vous ne perdez pas à l’échéance du contrat, ou peu, voire même vous pouvez revendre le contrat. Soit vous réalisez votre perte en renonçant à l’option et achetez de nouveaux contrats à très bas prix pour réaliser une plus value à la revente. Vous pouvez également garder votre contrat, en acheter de nouveaux pour moins cher afin de lisser votre prix d’achat. Dans tous les cas, si vous faites une perte, c’est sur l’option uniquement tant que l’on n’est pas à échéance. À échéance, vous êtes dans l’obligation d’acheter la quantité réservée au prix fixé. Dans ce cas, 100 million de tonnes à 120 dollars.
Si la paume est trop importante, il vous arrivera ce qui est arrivé à ENRON, acteur balbutiant du marché future sur l’électricité. La faillite. A contrario, vous pouvez imaginez le potentiel de spéculation pour ceux qui parviennent a contrôler un marche a coup d’options…
Maintenant, pour arriver à mon point aujourd’hui, disons que vous avez acheté des contrats sur les matières premières en 2010 en espérant que leurs prix continueraient à monter. Vous êtes immobilisés avec ces contrats, et la plus value que vous escomptez est pour dans un an, deux ans, cinq ans, dix ans. Disons que vos banques pensent comme vous que ça va monter aussi, et que vous gagnerez beaucoup d’argent avec du pétrole ou du lait à bon marché ou des options ultra-avantageuses à revendre.
Vous pouvez monter des dérivés avec elles afin de profiter aujourd’hui de votre profit de demain. On montera ainsi en swap future l’architecture complexe qui en fait équivaudra à un crédit dont les intérêts seront « nettés » par le profit escompté à terme, et que la banque avancera, celle ci réalisant son profit sur les primes et une majoration de l’intérêt au nom du « risque » et calculée certaines fois d’une façon tellement complexe qu’il faut une à deux pages bourrées d’équations pour décrire le calcul dudit taux, avec des limites supérieures ou inférieures et autres combinaisons sensées limiter le « risque ».
Quand celui réside, en fait, dans le simple fait d’utiliser maintenant le fruit d’une hypothétique plus value.
Vous pouvez aisément imaginer les montagnes de dérivés montés ainsi sur les matières premières ces dernières années. Or. Avec le sévères ralentissement économique en cours, il est strictement impossible que les prix se maintiennent, et encore moins qu’ils continuent à progresser .
Voilà pourquoi vous lisez depuis deux semaines que les banques centrales injectent encore plus de liquidités dans le circuit. Parce que ces contrats adossent des crédits dérivés, et si le prix d’un contrat baisse, le crédit a de fortes chances de devenir pourri avec des taux en ciseaux (vous remboursez un taux de plus en plus élevé pour votre crédit, et la banque vous versera de moins en moins d’intérêt gagé sur le profit escompté, voire même commencera à vous réclamer un paiement d’intérêt aussi si la valeur du contrat chute, alors que les deux jambes devaient se « netter ». Mince…
Je m’amusais depuis un an à dire que « mon » Jugglar se retournerait quand l’action Apple commencerait à baisser. Voilà, c’est fait. Après être passée d’une centaine de dollars il y a 10 ans à plus de 650 dollars il y a quelques mois, elle vaut désormais moins de 600 dollars. Mon idée, derrière, n’était pas que Apple provoquerait un krach. Non, c’était que le moteur économique depuis 2009 était la généralisation des objets nomades, du cloud, qui ont été les moteurs de l’économie taïwanaise et Coréenne mais aussi chinoise, les trois plus fortes locomotives économiques mondiales.
Ce cycle touche à sa fin. Tout le monde a son joujou nomade, l’Europe est dans la panade, les banques US vont bien devoir refourguer leurs millions de baraques vides, le Japon est en bout de course et la Chine est en train de commencer à reconvertir son économie. Bref, nous entrons dans des eaux très instables, ce qui en soit n’est rien s’il y a un capitaine, un bateau en bon état et des passagers qui se respectent entre eux. Nous en sommes très loin.
Bienvenue dans le Jugglar « négatif ». Et comme vers 1912, nous sommes dans un kondratieff de croissance (et c’est un désaccord avec les kondradieviens qui pensent que nous sommes en fin de cycle récessif). « Mon » Kondratieff se retourne vers 2015…
Si on échappe à la guerre mondiale, nous pourrons nous estimer satisfait…
De Tôkyô,
Madjid