Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Du Quantitative Easing à LA crise


Bref, nous allons connaître une très grave crise financière, bien pire que 2008 et similaire à 1929, dans très peu de temps, dans un horizon de quelques années, et nous n’aurons pas les outils pour la contrer.


On ne t’en parlera pas, et c’est pourtant une des rares information qui mériterait d’être discutée. On préfèrera te parler de la contingence, et toi tu t’opposeras à cette même contingence. Une « discussion » prise au jeu du quotidien et qui, quand l’actualité majeure te rattrapera, il sera bien tard, et pour tout dire cette même contingence qui te semblait si fondamentale, la « loi travail XXL » ou la baisse des APL, te sembleront des gnognotes, une sorte de passe temps absurde. Car en réalité, la « loi travail XXL », la « baisse des APL », toutes antisociales et injustes qu’elles soient, sont les conséquences d’une impréparation à penser la réalité qui caractérisent la gauche depuis les années 70 et qui ont donné à la réaction une autoroute. Ils ont bâti une idéologie, une représentation du monde sur ce vide béant d’un socialisme réduit à n’être qu’une opposition.

Une vraie information

Alors laisse-moi ici te parler d’une vraie information, d’une information qui monte comme un suspens sourd, d’une véritable bombe atomique économique qui, si elle explose, ou plutôt, quand elle explosera, reconfigurera le paysage politique, idéologique, économique et social des cinquante prochaines années si ce n’est plus encore, tant elle se produira avec d’autres de ces évènements majeurs dont les scientifiques nous parlent dans le désert tant nous nous obstinons à commenter le quotidien.

2008, ah oui, tu te souvient?

Après la débâcle sur les crédits de 2008, comme l’approche néolibérale « interdisait » toute action des états pour diriger l’économie à l’aide de créations d’emplois et d’investissements massifs financés par un mix de dette (pour stimuler la dépense) et de hausse d’impôt (pour limiter la spéculation) sur les hauts revenus (ce mix est caractérise la théorie keynésienne), il a été décidé que ce seraient les banques centrales qui seraient en charge (théorie friedmanienne) de veiller à contrôler la quantité de monnaie dans l’économie pendant que les états, sitôt la tempête passée, couperaient les aides sociales et les dépenses pour éponger la dette volumineuse que la crise financière (créée par la spéculation immobilière et la finance) avait laissée derrière elle.

Les banques contrales ont donc commencé à acheter aux banques les crédits dérivés pourris (CDO, ABS, etc) qui menaçaient de les conduire à la faillite à valeur faciale, c’est à dire non pas à leur valeur réelle (proche de rien du tout), mais à leur valeur d’émission.

Les graphiques ci-joints  montrent la valeur de ces « actifs » à la valeur incertaine dans les actifs des banques centrales. 4,5 trillions de dollars pour la seule banque centrale américaine, un plus que quadruplement de ses avoirs en comparaison avec les actifs avant 2008.

La banque centrale américaine aimerait maintenant commencer à remettre ces crédits sur les marchés mais ne sait pas trop comment ni quand s’y prendre. Il faut savoir que c’est pire en Europe où la banque centrale a aussi acheté de la dette d’entreprises  et de la dette des états (d’où son insistance à être remboursée par la Grèce…), et qu’au Japon elle est même devenu le premier actionnaire de plus de 80 compagnies dans le but d’en faire monter les cours (tout en injectant encore plus d’argent dans l’économie). Chaque fois, ce « soutien au marché » a pour but de permettre une remonté des prix, des cours, et donc une reprise du crédit, qui a son tour soutiendra les prix.

Ça fait beaucoup de papier… pour garantir la valeur du papier. Car il faut se souvenir que la valeur de nos monnaies n’est garantie par rien d’autre que la confiance que l’on a dans le bout de papier qu’on appelle un billet de banque, et que cette confidence repose dans la capacité de la banque centrale à inspirer confiance.

L’étalon or, un souvenir de troisième…

On oublie souvent que la monnaie fiduciaire (FIAT), c’est à dire le billet de banque, est une invention récente et que jusque la guerre de 1914, on pouvait échanger un billet contre une quantité d’or définie par la loi (étalon or), en Grande-Bretagne, en France et aux USA. Cela garantissait une relative stabilité monétaire et surtout la confiance dans le billet de banque.
Car un billet de banque est donc un crédit, donc une dette. Quand vous recevez un billet, vous recevez une créance de dette sur la banque centrale de votre pays, et vous pouvez échanger cette créance pour le montant de sa contre-valeur pour acquérir un bien ou rémunérer un service. On peut en imprimer autant que l’on veut, la seule limite étant la confiance dans sa valeur « faciale », à savoir le montant écrit dessus.
On appelle crise monétaire un moment où un doute s’installe sur la valeur de cette créance, soit de la part de spéculateurs (crise de la Livre Sterling en 1992), soit de la part des particuliers (comme dans le cas de l’Allemagne en 1922/23).

La France, puis la Grande-Bretagne ont progressivement abandonné cette garantie car la guerre de 1914 avait coûté si cher et produit tellement de dette que la conversion forcée  de la monnaie en or « étalon » avait un effet déflationniste (mis en évidence par Keynes dans les années 30). Seul le dollar est resté convertible en or jusqu’en 1971. C’est là que lui est venu son rôle de monnaie de réserve, car détenir des dollars équivalait à avoir de l’or, et les banques centrales achetaient du dollar pour garantir la valeur de leur propre monnaie.

La guerre du Vietnam a créé un doute sur la capacité de la banque centrale américaine, la Federal Reserve, d’échanger le dollar contre sa valeur en or. On estime que la masse de billets en circulation en 1970 était cinq fois la valeur des réserves d’or, une vente massive de dollars contre de l’or aurait de fait conduit à une dévaluation massive de l’ordre de 80% et aurait ruiné les USA.

Pour se protéger de ce risque, le président Richard Nixon a décidé de sortir de ce système dit de « Bretton Wood » et a déconnecté la valeur du dollar de celle de l’or.

La monnaie, c’est que du papier

Depuis, les monnaies s’achètent et se vendent, ce qui défini leur valeur l’une par rapport à l’autre, risquant la spéculation en cas de crise de confiance. C’est ce qui a conduit à la loi de 1973, une mauvaise loi, faite à l’avantage de la finance, mais motivée par le désir rationnel de donner à la banque centrale un outil pour limiter la spéculation en donnant un outil d’évaluation de la qualité de la dette, c’est à dire, la valeur de la monnaie.

50 ans plus tard, force est de constater que si l’illusion de la valeur de nos monnaies dure malgré les avalanches de dettes de notre système financier et dont la « loi de 1973 » (et ses équivalents dans les autres pays) était sensée nous protéger, nous sommes dans une situation hors de tout contrôle puisque le montant global de la dette mondiale et des crédits dérivés équivaut à au moins dix fois la richesse réelle, et encore, par richesse réelle faut il entendre la richesse évaluée par un marché débordant de liquidités produites par de la dette. L’or lui même, désormais, s’achète et se vend, et beaucoup d’acheteurs d’or achètent de l’or grâce à de la dette, ce qui surévalue la valeur de l’or.

En fait, on ne sait pas.

On ne connaît pas le prix réel des choses, leur vraie valeur. S’il existe bien un « marché » au cœur de l’économie marchande des sociétés urbaines depuis plusieurs milliers d’années, « l’économie de marché » s’est elle construite autours d’une classe sociale dont l’effort principal consiste à nier, manipuler, organiser, monopoliser, distordre le marché pour son seul avantage et son seul profit: l’économie de marché est une fable.

Quand on peut acheter de l’or, spéculer sur le café ou acheter un quartier entier pour y spéculer en ayant recours à une masse incroyable de dette que l’on remboursera sitôt l’opération financière réalisée, c’est quoi, le marché, si ce n’est l’organisation d’une société et de toute son activité pour la prédation d’un petit groupe qui, depuis le pillage des Amérique et la réduction des africains en esclavages en passant par la colonisation ou, de nos jours, la soumission de la production des denrées alimentaires du monde entier au seul jeu financier de la bourse de Chicago… Le capitalisme lui-même est une fable, il n’est que l’apparence économique de notre civilisation, la civilisation qui s’est mise progressivement en place, à partir du 15ème siècle, sur les ruines de la chrétienté européenne. Une société prédatrice.

La seule chose à laquelle s’accordent les économistes

Il y a trop de liquidités, trop d’argent, que ces liquidités ne vont pas au bon endroit (peu d’investissements dans la recherche et dans la création de richesses, beaucoup dans l’immobilier et dans la finance) et que le Quantitative Easing, à savoir le maintien à flot du secteur financier à l’aide de la planche à billet des banques centrales dont les comptes regorgent de dettes à la valeur incertaine, ne peut plus durer, et qu’il faut remettre sur le marché les trillions de titres détenus par ces banques centrales.

Et en réalité, c’est une opération impossible, inédite dans l’histoire financière et la prochaine crise financière sera une crise monétaire comme nous n’en avons pas vu depuis des centaines d’années, à savoir une crise de confiance majeure dans la valeur même des monnaies, ces bouts de papier que nous utilisons pour faire nos courses, que la seule solution pour en garantir la valeur sera une hausse massive des taux d’intérêts, que cela plongera les économies dans une chute de l’activité économique et de l’hyper-inflation avant une chute massive de tous les prix, et que cela accélérera encore la chute des monnaies, que les gouvernements eux-mêmes seront incapables de faire quoi que ce soit tant le marché, le vrai, celui du prix des choses, est distordu par le montant des dettes, et que l’économie de marché à laquelle ils croient dur comme fer n’est qu’un mirage tant « le marché » est distordu par la conjugaison de la concentration du capital et de la capacité du capital à s’accroitre par la simple émission de crédit.

1929, worldwide, tu imagines?

Éventuellement, avant de reprendre le contrôle de tout cela, il faudra qu’un point bas soit atteint, un peu comme ce fut le cas vers 1932, après une chute des prix de plus de 80%… Et cette fois, ce sera planétaire, les banques centrales feront certainement faillite, incapables de valoriser leurs « avoirs » (assets) pourris à la valeur fixée par le seul jeu du crédit, les gouvernements seront forcés de faire défaut sur leur dette…

On sera alors éventuellement capable de rebâtir quelque chose sur ce champ de ruine, si nous sommes prêts, c’est à dire si nous avons le courage de regarder cette crise financière qui vient avec lucidité et nous en saisir pour en penser l’alternative. Et si possible, un au-delà qui ne se limite pas à une critique du capitalisme, mais plus globalement, un au-delà qui mesure ce qu’il y a de profondément mauvais, dans la civilisation qui a permis la naissance du capitalisme.

À défaut, bien sûr, le capital nous proposera sa solution, celle d’abord de laisser le marché se réajuster puis d’aller encore plus loin, c’est à dire vers la privatisation et la dissolution des états. Car après tout, les états, comme les monnaies, ne sont eux-mêmes que des constructions, des fictions qui ne tiennent que par la confiance que l’on veut bien placer en eux. Et de confiance, de ce côté là, il n’en reste plus beaucoup. La science-fiction regorge d’histoires de sociétés où les états ont laissé la place à des corporations.

Intéressez vous un peu plus à la « balance sheet » des banques centrales.

Les banques centrales ont depuis 2008 acheté des montagnes de dettes à la valeur incertaine dans le but de réinjecté des liquidités (de l’argent) pour réanimer l’économie qui menaçait de s’écrouler. Ce faisant, le problème n’a fait qu’être déplacé, et la confiance dans les banques centrales a simplement été utilisée pour porter le poids de dettes dont le volume colossal menaçait de faillites la quasi-totalité des établissements financiers.

Or, ces mêmes banques centrales ont la charge de garantir la valeur de nos billets de banques, de leur pouvoir d’achat.

Cette politique de rachat massif de dettes qui a globalement quadruplé les « avoirs » des banques centrales a fini par revaloriser le prix des actions et les bourses battent désormais des records, l’immobilier qui était à l’origine de la crise bat de nouveaux records, tout cela parce que la quantité d’argent en circulation alimente une inflation des actifs. C’est donc le moment idéal pour elles de remettre sur le marché ces titres pour revenir à une situation « normale », en se délestant de ces trillions d’euros, de dollars, de livres, de yens de dettes qu’elles comptabilisent comme des avoirs par la magie des crédits dérivés (puisque les dettes sont sensées être remboursées).

Le défis est triple.

Leur remise sur le marché, alors que ces crédits sont sensés rapporter plus, va-t-elle pousser les taux d’intérêts vers le haut et donc couper net la reprise économique mondiale, replongeant les économies dans la stagnation économique, et menaçant donc la valeur même l’opération de remise sur le marché de ces crédits.
La « valeur » de ces crédits dépend étroitement de la bonne tenue des bourses et des marchés immobiliers, elle est donc étroitement liée à la quantité de monnaie en circulation, or il y a une risque d’assèchement de certains marchés contre d’autres et donc une plus grande fragilité des marchés financiers qui pourrait menacer l’opération elle-même.
Le Quantitative Easing a agi comme une véritable drogue sur les marchés financiers, ils ont adoré cela, cette possibilité de se financer à zéro pour cent, de se délester de dettes pourries pour en faire encore plus. Car le truc, c’est que le QE a permis de faire encore plus de dette, et que comme cela a permis de faire s’envoler le prix des actions et de l’immobilier, cela a permis de faire encore plus de dette adossée à la valeur de ces actions et de l’immobilier.

Bref, nous allons connaître une très grave crise financière, bien pire que 2008 et similaire à 1929, dans très peu de temps, dans un horizon de quelques années, et nous n’aurons pas les outils pour la contrer.

Mais cette fois, les états auront encore moins de possibilités d’intervention, et les banques centrales sont criblées de dettes. Comme nous sommes dans une économie dérégulée, le doute qui s’était en 2008 installé vis-à-vis des banques, s’étendra cette fois-ci aux états (comme pour la crise grecque) mais aussi aux banques centrales (comme cela se passe parfois dans les pays du Tiers-monde).

Oui, intéressez-vous aux balance sheet des banques centrales.
(l’illustration de cet article est un photo d’écran Bloomberg (c), elle correspond au montant des avoirs de la banque centrale américaine, en trillions de dollars. On y voit l’envolée après 2008. Ces avoirs sont constitués principalement aux produits financiers qui menaçaient les banques de s’effondrer et que les banques centrales ont rachetées au prix « facial », arrosant les banques de trillions de dollars sans risque pour elles. Cet argent est allé s’investir dans la bourse, dans les « marchés émergents » et dans des opérations immobilières. La même chose s’est produite en Europe ou la BCE et la BoE ont elles aussi racheté de la dette des états et d’entreprises en difficultés, de banques notamment, ainsi qu’au Japon, où la BoJ est allée jusqu’à acheté des actions de sociétés pour en soutenir les cours)

Lectures complementaires:

Europe’s Butter Mountain Has Melted Away

Greenspan Sees No Stock Excess, Warns of Bond Market Bubble

Alan Greenspan Issues a Bond Bubble Warning – Bloomberg 

How Central Banks Are Impacting the Bond Market – Bloomberg 

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