Emma Kirkby et moi

Mais pour nous, pour moi, à la première écoute, ça avait été évident, logique.

C’était elle.

(vidéo: Handel – Messiah (version 1741), But who may abide. David Thomas, basse. Emma Kirkby, soprano. The Choir of Christ Church Cathedral, Oxford, The Academy of Ancient Music, Christopher Hogwood. BBC 1982)

Je me suis souvent attardé sur Vivaldi, ici, ce compositeur qui, il faut dire, m’a accompagné très tôt quand, enfant, je l’ai découvert à l’école pour ne plus jamais le quitter, m’offrant ainsi l’abris nécessaire pour me protéger de mes peurs, de la solitude et de mes fantômes.
J’ai vécu une enfance solitaire, probablement à cause de ces bronchites chroniques qui me privaient de l’école une bonne partie de l’année, avec leurs fortes fièvres qui me faisaient faire des cauchemars terrifiants. À cause de ces antibiotiques pris à répétition et qui me rendaient malade entre deux bronchites.
Cette imagination née dans la douleur et la solitude, entre terreur et enchantement, ne m’a plus jamais quitté et je n’ai fait, finalement, qu’apprendre à la domestiquer.
Et justement, si Vivaldi est mon compagnon depuis l’enfance, si entre lui et moi s’est tissée une intimité particulière et si c’est lui qui m’a ouvert la porte vers ce que je suis devenu, oui, oui, il n’en demeure pas moins un être du passé à qui seules des émotions et cette intimité particulière m’attachent.
Vivaldi m’a amené à la musique ancienne, et la musique ancienne m’a amené à m’ouvrir à l’histoire, j’y avais bien entendu toutefois une prédisposition née dans l’enfance, quand je dévorais les revues d’histoire de ma mère, et à regarder l’histoire comme une (re)construction totale où le moindre objet a sa place, musique, vêtement, le geste autant que les objets, les œuvres littéraires, l’alimentation, tout, quoi. C’est à Vivaldi que je dois cela, et cela depuis l’enfance. Il a mis la musique sur les mots de mon époque préférée, le 18ème siècle. Ainsi, Vivaldi habite en moi, quelque part.
Mais il s’est hélas trouvé bien impuissant quand j’ai commencé à sombrer dans la dépression, lentement d’abord puis de plus en plus violemment après la mort de mon père et la spirale de violence en Algérie.
Il venait de m’ouvrir à la musique baroque, et c’était déjà beaucoup car c’est sur cette découverte que le Madjid d’aujourd’hui a pu tenir d’abord, rester en vie pour éclore plus tard. Enfin.

Adolescent, comme j’aimais la musique dite « classique » (un mot à la con), j’avais fait de la flûte traversière, une Yamaha en métal, ce qu’on appelle une flûte Boehm, du nom du musicien et compositeur bavarois qui a « perfectionné » la flûte dans la seconde moitié du 19ème siècle, en faisant un instrument en métal avec ses « clefs », à la sonorité vive et sonore qui se plie si bien aux masses orchestrales symphoniques de cette époque. J’avais donc joué « du » Vivaldi.
Mon professeur me reprochait de bouger avec l’instrument, de ne pas toujours tenir les rythmes (sur cela il avait tort, j’ai un sens inné du rythme et je jouais comme je sentais) et surtout de ne pas suffisamment travailler. Là, il avait raison.
Vers 17 ans, l’instrument m’a lassé, je préférais les concerts rock, les synthétiseurs et les mecs. Je suis parvenu à survivre au lycée et à avoir le baccalauréat, mais ce « premier Madjid » arrivait bel et bien en fin de course, en pensant pourtant qu’il entrait dans la vie. L’erreur de ce Madjid est de ne s’être jamais préoccupé de ses racines, d’avoir cru pouvoir n’être qu’un être d’air quand en réalité j’ai une personnalité qui a profondément besoin d’être bien dans ma terre. Je vous l’ai dit, je butine, je vais ici, je vais là, si j’oublie mes racines, je me perds…

C’est vers l’âge de 20 ans, alors que je me lassais du rock, que je redécouvris Vivaldi. La baffe de ma vie. Je crois vous avoir raconté, qu’importe! On remet ça.
J’étais alors encore un jeune rockeur version années 80, c’est à dire qui écoutait des trucs que personne n’écoutait et capable d’en dire que je les avais trop écoutés avec un air blasé. Ça se faisait beaucoup à l’époque, ce genre là, j’étais à bonne école.
Alors, quand, lassé du rock, et même du revival psychédélique de l’année 1984, j’ai découvert vers 1985, que des musiciens jouaient sur « instruments anciens », ça m’a fait un peu l’effet d’entendre parler d’un groupe tchécoslovaque encore plus radical que Einstustende Neüebauten, NOX ou SPK. Ce que la scène rock des années 80 m’avait appris, c’était la curiosité, c’était refuser de s’encroûter à toujours écouter la même chose, à stagner dans une infinie répétition du même, à des certitudes, et ça correspondait bien à ma personnalité, je vous l’ai dit l’autre jour. À se mettre en danger. Si tant de choses ont fini par me lasser, jamais la musique ancienne ne m’a lassé. C’est techniquement impossible: il reste dans les bibliothèques des milliers de compositeurs encore inconnus et des dizaines de milliers d’oeuvres à découvrir, toutes avec leurs instruments aux sonorités autrement plus voluptueuses que les instruments standardisés de notre époque…

Mon premier disque de musique « sur instruments anciens » a donc été « The four Seasons », c’est logique, interprétées par Trevor Pinock et The English Concert. Le disque, sorti en 1984, était Diapason d’or.
C’est un de mes plus grands chocs musicaux car vraiment, passer de 50 minutes comme ça avait longtemps le cas, à 38 minutes, c’était vraiment une grosse baffe. Et puis seulement dix musiciens, ça me semblait fou.
J’ai failli balancer le disque, mais qu’est-ce que c’est que cette merde, avec ces instruments qui grincent et jouent à toute vitesse, et puis j’étais au téléphone, et puis d’un seul coup je n’ai plus pu écouter mon interlocuteur, et je lui ai dit je te rappelle, et j’ai écouté, et j’ai été scotché, et j’ai passé le reste de l’écoute à suffoquer, à moitié en larmes.
Avant Pinock, je ne savais pas ce qu’était l’été, je n’avais jamais vraiment entendu l’automne et l’hiver ne m’avait jamais réellement frigorifié. Tout cela n’étaient que des titres jetés là un peu par hasard, et soudain, voilà qu’ils étaient consistants.
Pour la première fois de ma vie, j’ai lu le fascicule qui accompagnait le disque, et ça a été une révélation: Vivaldi avait écrit quelques mots, un peu comme des poèmes, pour expliquer chaque mouvement, et les mots, pour la première fois, collaient avec la musique.
Bon, d’accord, depuis, on n’interprète plus tout à fait comme Pinock et Standage (le violoniste), mais je ne vais pas faire mon snob, cette interprétation a non seulement été un tournant dans l’interprétation d’une suite de concertos rabâchée et longtemps réduite à une sorte de somnifère tout juste bon pour faire patienter au téléphone tout en offrant des gages de jolitude aux prétentieux qui ne jurent que par « la beauté ». Je t’en donnerais, moi, de la beauté, espèce de chtard! Elle a aussi été une vraie révolution. Chaque orchestre baroque a apporté sa touche, à cette époque, dans le travail de reconstruction. Harnoncourt, la crasse nécessaire, les violons qui grincent, les dissonances assumées, par exemple. Pinock, c’est la violence.

Bon, jusqu’ici, je radote un peu car je vous ai déjà un peu raconté ça. Mais le rappel de cette première écoute est important car il ouvre la porte sur ce qui a suivi.
Les années 60, quand quelques musiciens ont eu l’idée de jouer sur « instruments anciens », c’était les Pays-Bas (Gustav Leohnart et le Leonardt Consort), l’Autriche (Nicholaus Harnoncourt et le Concentus Musicus Wien) qui défrichaient. Il y avait bien sûr l’Angleterre (Alfred Deller et le Deller Consort) et la France (Jean-Claude Malgoire et La Grande Écurie et la Chambre du Roy), mais au tournant des années 60/70, presque tous les nouveaux orchestres avaient un profil « mid Europa », certainement du à la boulimie de défrichage du tandem Harnoncourt-Leonhardt, bien décidés à enregistrer toutes les cantates de Bach (une par dimanche pendant 5 ans…), et cela malgré un déchaînement de la critique contre cette bande de malades qui s’opposaient au progrès et voulaient jouer sur instruments anciens.
Le consensus de la critique était que les orchestres baroques étaient en réalité composés de joueurs sans talent. Ce consensus a viré au lynchage dans les années 70/80 quand les orchestres baroques ont commencé à se multiplier et que certains chefs se sont décidé à jouer Mozart. Mozart, on ne touche pas, parce que c’est joli. Alors, pas touche, hein!
Les années 70, ça a été l’arrivée des orchestres anglais, tous formés par Deller et Harnoncourt. La France et l’Espagne sont arrivées un peu plus tard, dans les années 80, en gros, et puis l’Italie, ça a été les années 90.
Le renouveau baroque doit beaucoup, presque tout, en réalité, à un anglais, Alfred Deller. J’ai déjà raconté ça. Et donc, pour les orchestres baroque anglais, très rapidement, il s’est agit de déborder du baroque proprement dit, et de visiter également les musiques plus anciennes, celles, notamment, de l’époque de Henry VIII. Thomas Thallis, William Bird, une musique chantée.
Il y a alors eu pléthore d’orchestres anglais. Gardiner et The English Soloist Orchestra, et puis Andrew Parrott et The Tavernor Consort, Robert King et The King’s Consort…

Et puis, et j’aurais presqu’envie d’écrire et surtout, Christopher Hogwood et The Academy of Ancient Music.

C’est un de leurs disques qui a été mon deuxième disque de musique « sur instruments anciens », « on period instruments », comme c’était écrit sur la pochette.
De la musique de théâtre. C’est que dans le grand ripoulinage « post-révolution française/ révolution industrielle/ le progrès/ la modernité », on s’est mis à fossiliser certaines œuvres réputées représenter « la beauté » dans son acceptation bourgeoise (c’est vieux donc c’est beau), tout en les débarrassant de ce qui pourrait révéler leur rattachement à toute forme de culture populaire.
On a gardé Molière en France, et Shakespeare en Angleterre, mais on a bien veillé à les délester de leurs musiques, ces farces chantées et dansées qui rappelaient par trop leur côté rustre, populaire, populacier, vulgaire… Molière et Shakespeare, tout comme les quelques compositeurs et auteurs qui ont survécu à cet écrémage massif proche de l’amnésie, sont devenus des meubles rigides gavants. Ringards.

Si vous pensez connaître, et aimer Molière, mais que vous n’avez jamais regardé une pièce entière, avec son heure et plus de musique, de chants et de danses, avec des fesses à l’air, des danses fortement suggestives, des cabrioles et des sous entendu sur l’esprit tordu des riches, vous vous méprenez sur ce que vous croyez aimer et qu’en réalité vous ne connaissez pas. C’est valable pour Shakespeare. Le renouveau de la musique baroque, ça a été, et c’est encore, ainsi, la découverte, plus qu’une redécouverte, de centaines, de milliers de compositeurs oubliés, et avec, ici et là, des pans entiers de culture populaire, de farces qui donnent une idée autrement plus précise des sociétés qui les ont produits et écoutés.

Ah, cet album enregistré entre 1979 et 1981, Music for the theatre, sa pochette blanche encadrée du filet feuillagé noir « L’oiseau-Lyre », le label baroque de Decca, et ces noms aujourd’hui devenus des légendes de cet âge d’or qui s’annonçait pour toutes celles et tous ceux qui, comme moi, refusent la musique comme quelque chose de réchauffé, mais qui lui demandent d’être surprenante, amusante, violente, touchante, jamais la même et toujours prête à surgir et déborder quand on s’y attend le moins. Christopher Hogwood, bien sûr, au clavecin, Judith Nelson, Rogers Covey-Crump, Julian Pike, David Thomas et…

Décorée en 2000 de l’équivalent britannique de La Croix de Chevaliers des Arts et Lettres, son nom est désormais précédé du titre de « Dame », et en 2001, elle a reçu de la BBC le titre de 10ème plus grande artiste lyrique du 20ème siècle, ce qui a remis du feu sur la polémique et l’appellation de chanteuse de seconde catégorie. Mais quelle bande de taches… Le plus intéressant est qu’elle reste la même, n’a jamais pris la grosse tête, toute dédiée à ce qu’elle sait faire, l’opposé d’une « diva » à tous les niveaux. Elle est pour moi, pour nous, ceux qui avons eu le coup de foudre pour sa voix, une voix alors unique qui a ouvert la voie à tant d’autres, au firmament des arts, sa voix dansant avec les anges, une de ces voix qui rend presque sensible, possible, tangible l’existence d’un Unique dont elle n’est alors plus que la manifestation modeste et sublime à la fois…

Emma Kirkby…

Les amoureux de bel canto, de « musique classique » ont eu Maria Callas.
Nous, nous avons eu, nous avons encore Emma Kirkby. Tout de suite la critique l’a attaquée, elle a été ridiculisée par certains dans la « presse spécialisée », arguant qu’elle n’avait pas de voix et qu’elle était donc « tout juste bonne à chanter du baroque », avec des orchestres qui à leur yeux ne valaient pas mieux.
C’était cocasse quand on y pense, tous ces critiques de musique, certainement d’authentiques musiciens ratés s’étant repliés sur la presse, en train de traiter tout ce qu’ils ne pigeaient pas de mauvais musiciens.
Mais pour nous, pour moi, à la première écoute, ça avait été évident, logique. C’était elle. Cette voix d’où le vibrato était quasiment absent, aux aigus étaient incroyablement cristallins et fluides, agiles, et puis déjà, à cette époque, cette volonté d’articuler, d’utiliser la prononciation elle même comme une saveur de sa palette vocale, il n’y avait pas un doute, elle était, elle serait « notre diva », si tant est que nous en avions besoin. Elle était totalement différente des autres soprano, sobre, simple, sans bijoux, sans chignon peigné, elle ressemblait bien plus à une hippie qu’à une diva. Elle était totalement dans la voix, et uniquement dans la voix. Elle l’est toujours, malgré ses 69 ans.
Ah, quand elle est Didon, sur le poids de se suicider, dans cet enregistrement de Didon et Aenea, datant de 1982, avec The Taverner Consort dirigé par Andrew Parrott,

Thy hand, Belinda, darkness shades me,
On thy bosom let me rest,
More I would, but Death invades me;
Death is now a welcome guest.

When I am laid, am laid in earth, May my wrongs create
No trouble, no trouble in thy breast;
Remember me, remember me, but ah! forget my fate.
Remember me, but ah! forget my fate.

Et encore plus aboutie malgré ses 58 ans dans cet enregistrement amateur de 2007,

Vous pouvez chercher les autres cantatrices, aucune n’a réellement ces larmes dans la voix, toutes jouent la tristesse et le regret de devoir mourir, Emma Kirkby EST la tristesse, elle est le regret, elle est simplement Didon, la plus tragique Didon, et pourtant d’autres sopranos se sont montrées quelque part bien plus talentueuses techniquement au sens « classique » du terme.
Mais aucune n’est Didon. Aucune. Au sens baroque du terme.
Au passage, écoutez le moelleux de ces instruments anciens tant critiqués à l’époque, et devenus si évidents de nos jours, leur sonorités si différente de leurs équivalents « modernisés ».

Mon premier CD, ça a été le CD Italian Cantatas, Christopher Hogwood et The Academy of Ancient Music, avec Emma Kirkby,

Tu, fedel? Tu costante? Ah, non é vero

Je me revois, ce jour là, juste après mon achat de ce CD d’occasion chez Joseph Gibert, passer chez Tim, c’était un soir de semaine, et Tim lisant ces mots dans le livret…

Emma Kirkby. Vers 1989/90, alors que la dépression commençait à m’envelopper de plus en plus régulièrement, c’est elle qui m’a sauvé. The Messiah, de Haendel. Même orchestre.

But who may abide the day of his coming
And who shall stand when he appears

Les divas « classiques » déclamaient ces mots avec force, comme si l’Unique était une punition, la voix forte et grasse. Emma Kirkby changeait totalement cela, sa voix n’était plus qu’un souffle léger, une vibration triste, oui, qui saura reconnaître le fils de l’Unique au jour du jugement… Une imploration et non plus une punition, imploration à l’humilité dans notre condition d’homme, mortels et pêcheurs forcés à s’incliner devant la volonté de l’Unique. Non plus la divinité meuble du 19ème siècle, mais un Dieu de puissance et un sauveur détenant les clefs de la rédemption, et cette voix si fragile pour en annoncer le règne. L’humilité d’une voix pour des mots redoutables montant vers le ciel, implorants sans le dire la miséricorde pour celles et ceux qui ouvriraient leur cœur. Jamais cet air n’a été aussi délicat et violent à la fois, violent quand à la sentence mais délicat comme la lumière de la rédemption promise par le Messie.
Cet air, je l’ai écouté, réécouté, tachant peut être d’y trouver ma propre lumière quand tout n’était plus que ténèbres dans ma tête. Ce n’est pas le Messie qui m’a sauvé, c’est Emma Kirkby. Ou peut être est-ce le Messie par la voix d’Emma Kirkby.

Les années 90, je me suis éloigné du baroque anglais pour m’intéresser au baroque français que William Christie et Les Arts Florissants, Marc Minkovski et Les Musiciens du Louvre, Hugo Reyne et La Simphonie du Marais, Laurence Malgoire et Les filles de Rameaux, tous ces orchestres qui se multipliaient et nous donnaient enfin accès à des centaines de compositeurs et d’œuvres oubliées. C’était l’époque de ma reprise d’études, finalement, et de mon analyse. Je sortais de dépression, je revivais.
C’est au hasard de mes vacances d’été à la fin des années 90 qu’Emma Kirkby a refait une intrusion dans mon existence. Elle devait avoir 48, autant dire qu’elle était au sommet de son art. Son grave avait gagné en ampleur sans que son aigu cristallin n’en souffre, au contraire. Désormais, elle prenait son envol.

C’était un live sur France-Musique. J’étais chez ma mère, dans la Sarthe, il faisait un temps magnifique. Le matin, j’avais écouté une émission une émission sur Simone de Beauvoir, un hasard que je fus tombé dessus alors que je lisais un article sur elle au même moment dans Le Monde. Et puis, quand le programme se fut terminé, que je zappai sur France-Musique, le choc fut total. Comment comprendre que ces deux femmes puissent se télescoper ainsi. C’était comme un message qui m’était adressé. Vous savez, ces racines dont je vous parlais plus haut.
Je restais bouche bée devant cette retransmission. C’était le Freiburger Barockorchester qui l’accompagnait dans une Cantate de Bach. Sa voix… Je passais un moment scotché à la radio, en larmes. Je veux dire, vraiment en larmes…

Emma Kirkby, je ne l’ai vu qu’une fois en concert, au Théâtre Grévin. Un récital de musique anglaise du 16ème siècle, accompagnée au luth par Anthony Rowley, son compagnon à l’époque. C’est dans cette musique, extrêmement sobre mais terriblement expressive que l’on comprend le mieux son talent, ce qui en fait un modèle pour de nombreux artistes et passionnés de musique ancienne bref, de l’époque d’avant les grosses voix, avant le vibrato, à l’époque où on ne faisait pas que chanter, mais où dire le texte était tout aussi important.
Ma chatte, Siousxie, est morte en 1999, et quand je l’ai vue agoniser, elle se cachait, je l’ai prise avec moi, je l’ai mise sur un coussin et je l’ai caressée. Et j’avais pris le temps de mettre ce disque de musique anglaise, des airs de Dowland, ce très grand compositeur anglais, catholique et contraint à l’exil dans l’Europe entière, regrettant toute sa vie de n’être pas devenu le compositeur de la très protestante Elisabeth I.
Siouxsie est morte en écoutant la voix d’Emma Kirkby…

La chanteuse a maintenant 69 ans. La jeune artiste aux longs cheveux roux bouclés avec des taches de rousseurs devenue par la suite une femme mûre à l’élégance simple est devenue une femme âgée au visage empli de rides d’expression mais toujours aussi vive et surtout, la voix toujours là, preuve s’il en est que finalement elle savait vraiment chanter. Elle continue d’interpréter ses compositeurs favoris, Byrd, Dowland ou Monteverdi, qu’elle maîtrise mieux qu’aucun autre interprète et généralement accompagnée de ce luth qui se marie si bien à sa voie,
J’ai découvert il y a peu cet enregistrement récemment des Lacrimae de John Dowland et j’ai été fasciné comme au premier jour par sa voix, mais également boulversé par la profondeur de son interprétation de cette œuvre qu’elle a mûri au fil des ans pour nous en donner, un peu comme Elisabeth Schwarzkopf et les Quatre derniers lieder de R. Strauss, une interprétation ultime.

Références
Un article du magasine britannique Gramophone au sujet de l’enregistrement du Messie de Haendel par The Academy of Ancient Music dont un extrait sert de vidéo à cet article, un brillant hommage à trente ans de distance pour ce qui est désormais considéré comme un des plus grands enregistrements de l’oeuvre. Et cela malgré un accueil extrêmement mitigé à l’époque, en 1980.


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