Billet de pré-rentrée

…, Ma vie à changé, mon quartier, mon occupation du temps. Et pourtant tout est un peu le même.


Ca sent l’automne. Et pourtant nous sommes comme en plein cœur de l’été.
Né en septembre, aimant l’école, je suis un enfant de l’automne. Pour moi, la rentrée des classe est synonyme de renouveau, de tableau tout propre, de cahiers tout neufs, d’un moment où l’on peut tout recommencer de zéro. C’est une période qui se teinte de nostalgie, et j’aime cette sensation même si elle me laisse comme un arrière goût de tristesse qui ne trouve pas ses mots.
Ça sent l’automne et pourtant le soleil tape fort, il n’y a pas de réelle différence entre le soleil d’il y a deux semaines, et le soleil d’il y a une semaine à Kyôto, mais c’est dans la tête: le simple fait s’être revenu de vacances, d’avoir retrouvé mes élèves me donne un petit goût de fin d’été. Ce midi, en sortant de chez moi, j’ai trouvé la température moins chaude, plus douce, et pourtant ça tapait.
Tout est dans la tête. Et pourtant c’est réel. L’hiver commence à la fin du mois de juin, quand les jours commencent à raccourcir. Au Japon, le raccourcissement se fait plus net car le pays est calé sur son méridien réel et qu’il ignore l’heure d’été, dès la fin du mois de juillet, on constate sans vraiment y penser que, ben oui, le soleil se couche un peu plus tôt. On s’en soucie guère, alors, car c’est le moment où le soleil se met à taper plus fort que jamais, et cette année il s’est montré particulièrement chaud, brûlant même. Mais quand après la coupure pour O-bon on revient à la vie active, on la sent bien, la différence. Et les deux ou trois degrés de moins, malgré la chaleur, font tout le reste, pendant que les cigales et autres insectes chantant vous vont sentir la brièveté du moment. On le sait, que dans 15 jours, les grillons se feront entendre plus fort, et que dans un mois, après qu’un typhon plus fort que les autres sera venu balayer tout ça, leur chant ne sera plus qu’une sorte de lamentation romantique et nostalgique pour l’été qui désormais ne sera plus. Certains feuillages commenceront à se déplumer…
Peut être est-ce aussi ce soleil haut dans le ciel et lumineux comme en France en juillet quand ici dès juin il se fait bien plus haut avec une lumière brûlante, le pays étant bien plus au sud… Oui, c’est l’automne qui arrive…

Cela fait bien longtemps que je n’avais pas écrit dans ce blog. Ma vie à changé, mon quartier, mon occupation du temps. Et pourtant tout est un peu le même.
Je m’habitue à mon nouveau chez moi, c’est allé si vite. Cela ne fait pas un mois que j’ai emménagé, et cela me semble si ancien.
Entre le déménagement et aujourd’hui, les vacances à Kyôto.
Ah, les vacances à Kyôto. J’ai eu juste le temps de décompresser, et il a fallu revenir. Les semaines qui avaient précédé avaient été si intenses, si rapides, si tendues, je n’en voyais pas le bout. De fin juin à début août, ma vie a été une course sans interruption, entre les cartons à faire, le contrat à signer, des choses à transporter moi-même, ces achats indispensables pour bien démarrer et les livraisons qui immobilisaient mes matinées, l’installation d’Internet, du gaz, et puis mon premier loyer rejeté par ma banque pour insuffisance de coordonnées dans l’ordre de virement, contacter le propriétaire, et puis mes nouvelles leçons du lundi et du mardi matin, et mes cours particuliers qui s’enchaînent tout le lundi, et aller à la mairie, et faire changer mes coordonnées à la banque… sans oublier mon travail à l’école, avec un emploi du temps incroyablement chargé. La course, l’impression que cela ne s’arrêterait jamais.
Avant de partir, j’ai fait un dernier achat. Pour tout dire, je voulais acheter un nouvel appareil photo, j’y reviendrai dans un autre billet. Et finalement, c’est sur un objectif que je me suis arrêté. Et j’ai très bien fait car mon Sigma SD15 revit. Seul inconvénient, Sigma est incapable de fabriquer des objectifs impeccables dès le départ (je temporise, il semble que mon problème concerne tous les fabricants, qui en conséquence incorporent à leur boîtiers de petits outils permettant de faire les ajustements nécessaires), et je me suis battu pendant une semaine avec mon appareil et l’objectif pour faire ma mise au point. Ayant pris plus de 1500 photos, vous pouvez réaliser la réalité de cette bataille. Front focus, c’est à dire mise au point un peu à l’avant du sujet photographié, et par conséquent, impossibilité à réaliser une mise au point automatique correcte. Je ne raconte pas la bataille. Cela a du être un peu gonflant pour Jun que la chaleur étouffante de Kyôto et l’humidité épuisaient, mais pour moi, je m’aperçois que cette fixation a eu pour résultat de me distraire. Je n’avais plus qu’un seul soucis, faire le point. Et à regarder les photographies depuis quelques jours, je m’aperçois que j’y suis plutôt très bien parvenu.
Je vous laisse méditer sur cette parabole lacanienne.
Je suis revenu reposé, et pour tous dire, les deux derniers jours ont simplement été parfait, ayant trouvé un moyen sûr de mettre au point. J’ai retrouvé un grand plaisir à photographier. Lundi, je suis retourné au magasin, Map Camera à Shinjuku, et mon boîtier ainsi que mon objectifs sont partis pour calibrage.
À Kyôto, ‘ai mangé comme un gamin. Des glaces au thé vert matcha 抹茶,
beaucoup de choses au petit déjeuner, des tempura, etc. Ce matin, je fais quasiment le même poids qu’à mon départ (lundi matin, j’affichais 3 kilos de plus). J’ai juste repris mon alimentation normale. L’anormale, c’est bien de manger des glaces tous les jours, se bâfrer le matin et en remettre une couche au dîner avant de finir la journée avec une pâtisserie… Autant dire que ces vacances ont été de réelles vacances, où j’ai donc pu relâcher toutes les tensions. Comme un gosse. Pourquoi ne pas visiter ma galerie Flickr du dimanche 12 août? Les autres jours suivront…

Lundi 13, alors que j’étais dans la chambre de l’hôtel à bidouiller sur mon iPad, j’ai reçu un message privé de Philippe, une connaissance Facebook. Il m’informait de la naissance d’un groupe « énorme ».
Peut-être le nom de Pascal Carqueville ne vous dira rien. Pour moi, avant d’être une énième connaissance Facebook, il est aussi une connaissance réelle, bien que je ne le connaisse pas. Intéressant, non? Presque légendaire… Pascal était le DJ du légendaire club gay The Broad, le club dont la seule évocation réveille chez moi les souvenirs de ce que j’appelle «avant». Car pour tout dire, il y a pour les gays de ma génération un « avant ».
Il y a eu une sorte de brèche très brève, ensoleillée, avant le SIDA. Et plus qu’aucun autre endroit, le Broad incarne ce moment. Pascal était l’un des DJ, et je l’ai contacté il y a deux mois au sujet du Broad, pour savoir si dans le roman que j’écris je pouvais citer son nom. Et lui demander, sur la musique…
Et donc, ce groupe sur Facebook s’appelle « The Broad ».

J’ai en mémoire une très rare fois où j’ai adressé la parole à Pascal, et je me permets de garder ce souvenir pour moi, je ne sais pas s’il s’en souvient et cela n’a aucune importance. Mais ce lieu, ces 15 secondes échangées et finalement le contact presque charnel avec la musique qu’il passait (et que le post-adolescent asocial que j’étais détestait) en fait un de mes contacts Facebook les plus particuliers. Pascal trône sur le monde d’« avant » où il contemple sans le savoir cette armée de fantômes fauchés par le SIDA dans toute la force de leur jeunesse, dansant, suant, riant à pleine dents, certains les cheveux sculptés par Rock Haïr, d’autres sous de fines bouclettes que relèvent des polos Lacostes rentrés dans des jeans 501 dont le dernier bouton est déboutonnés, une tradition venue des USA et perdue depuis lors.
J’ai trouvé l’idée de ce groupe amusante. Quelques photos du « second Broad », hélas encore peu du premier, celui que dans la deuxième moitié des années quatre vingt nous appelions « le vrai » Broad. Le second Broad, c’est celui de l’époque du SIDA, réaménagé après une fermeture de quelques mois pour cause de SIDA, justement. Une fermeture qui a complètement métamorphosé la nuit gay sur Paris. Pour beaucoup d’entre nous, elle a correspondu au début de la prise de conscience. Comme l’écrit assez souvent Didier Lestrade, certains ont cessé d’avoir des rapports sexuels pendant un an, deux ans. J’ai été de ceux là, je draguais mais ne concluais plus, le cœur n’y était plus. Ça m’avait pris un jour, justement, au Broad. J’avais rencontré un garçon, il me plaisait. Il habitait le 13eme arrondissement. Nous sommes allés chez lui. Et puis il s’est déshabillé, et je l’ai trouvé maigre, et j’ai commencé à avoir peur, et j’ai fait semblant de dormir. Je n’avais pas 18 ans. Ce type de mésaventure s’est reproduite de plus en plus souvent, et vers 1985, j’ai eu une sorte de passage à vide sexuel dont je ne suis réellement sorti que fin 86 quand j’ai rencontré Denis. Enfin, quand je dis que j’en suis sorti, les dégâts à l’intérieur étaient colossaux, et ma libido ne s’est réellement réveillée que longtemps plus tard, je veux dire, plus de 10 ans plus tard, et grâce à une analyste qui a accepté d’entendre ce récit par touches brèves et maladroites, me permettant de reconstruire cette chronologie bouleversée au dedans de moi. Le SIDA nous a bousillés, même quand nous nous en protégions, on a du tous devenir vieux d’un seul coup.

Parce qu’il n’y a que les vieux qui ont peur de tomber malade et de mourir. Être jeune, c’est avoir le droit d’être bête, et nous, ben, on a du y renoncer très vite. Le deuxième Broad est un Broad sérieux. La magie était cassée quelque part, et j’y allais bien moins souvent. Je ne sais même plus quand il a fermé, c’est dire. Le Limelight, tout ringard qu’il était, Haute Tension, tout ultra ringard qu’il était, le BH, tout plouc qu’il pouvait être par moment, s’étaient installés dans notre circuit de nuit pendant cette fermeture jusqu’à se transformer en alternative possible à un Broad qui ne vivait plus que dans nos souvenirs.

Et puis me concernant, j’habitais désormais Paris, j’étais un jeune rocker « psychédélique », et le Broad était bien moins amusant sous LSD que Haute Tension et sa danse du tapis… C’est pourtant au Broad, à cette époque là, vers 84/85, et malgré ces réserves, que j’ai croisé la dernière fois Pacadis, dans le même état que moi, après l’avoir croisé deux heures auparavant à l’Acid Rendez-Vous, la soirée organisée par Nouma Roda-Gil.
Parce que c’était ça, la magie du Broad. Tout le monde y allait.
Je ne suis pas un fana de l’expression « tout le monde », mais concernant le Broad, c’était vrai. C’est peut être pour cela que l’on pouvait être si critique, surtout après la réouverture : le club avait créé sa propre référence, on en attendait tous quelque chose, et on finissait tous par y retourner…
J’y détestais la musique. Cette simple phrase me fait sourire aujourd’hui. En fait, les morceaux que j’y détestais le plus sont ceux pour lesquels aujourd’hui j’éprouve la plus profonde tendresse. Les fantômes perdus dedans ma tête et à qui je tente de rendre la vie retrouvent toute leur beauté, leurs sourires. Asocial, passant mon temps dans mon coin à m’ennuyer, perdu dans l’intransigeance de mes 16 ou 17 ans, je les regardais bouger, vivre, leur donnant le temps de graver leur emprunte au dedans de moi, comme si j’avais été mis sur terre pour leur donner la chance de pouvoir continuer à vivre pour l’éternité dans toute la fleur de leur jeunesse, ignorant la mort qui les attendait, certains si vite, non, vraiment, comment ne pourrais-je pas éprouver de la tendresse en entendant les musiques que Pascal Carqueville passait. Comme celle-ci, ou celle-là. Je n’ai aucun besoin de fermer les yeux, ils sont là. Que ne donnerais-je pas pour ne serais-ce que l’espace d’une seconde, pouvoir bouder encore un peu au milieu d’eux…

Je suis à l’école. Ma prochaine élève arrive dans 20 minutes. Je voudrais poster ce message pour que vous puissiez le lire dès ce matin en France.
À demain.
De Tôkyô,
Madjid


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