Le temps des chocs, 1971 / 1975 ↘

Si je vous dis «1971», rien de bien spécial ne vous viendra à l’esprit, peut-être éventuellement penserez-vous babas cools, pattes d’éléphants, société de consommation… Plus cultivés, vous penserez Pompidou, Vassarelli, André Talon, le trio d’enfer d’une redécoration partielle des appartements privés de l’Élysée, en rouge, orange, vert et gris, tout en mousse et en rondeurs que le successeur, Valéry Giscard d’Estaing s’empressa de remiser aux caves du Mobilier National d’où ils sortiront presque 15 ans plus tard pour une exposition au Centre Georges Pompidou, l’autre chose auquelle vous pourriez penser si je vous disais «1971».

D’un enchaînement (l’aménagement du Plateau Beaubourg, alors une sorte de parking entouré d’immeubles vétustes et sans confort habités par des artisans, des vieux et toute une jeunesse marginale plus ou moins rescapée de 68 et de ses errances, on arrive à l’autre, la démolition des Halles Baltard construites un siècles auparavant, aboutissement ultime de ce qu’on appela pendant des siècle «le ventre de Paris», avec son immense marché et tous les métiers qui l’accompagnaient.

Les noctambules de tous les milieux s’y croisaient autours d’une soupe à l’oignon gratinée et d’un dernier verre de vin blanc, pour quelques pièces de un francs, avant de rentrer se coucher, pendant que les bouchers et les primeurs, eux aussi réunis autours d’une soupe à l’oignon et commentant l’actualité la première édition de France-Soir ou le Parisien Libéré, démarraient leur journée. Le projet du gouvernement suscitait beaucoup d’opposition auprès des commerçants qui ne voyaient pas ce qu’allait devenir ce quartier.


Si vous être politisé, vous retiendrez de 1971 la prise de contrôle par François Mitterrand et ses amis du Parti Socialiste, créé par les deux ennemis Guy Mollet et Alain Savary en 1969. La nouvelle ligne, résolument anticapitaliste, est fondée sur le «front de classe» et entend offrir une alternative politique au pouvoir en place après les événements de mai 1968. Si vous êtes encore plus au fait des événements de ce temps, vous savez que Jim Morrison, Janis Joplin et Jimmy Hendrix sont mort, que les Beatles se sont séparés, qu’un concert de The Rolling Stones a tourné à la boucherie et que pour beaucoup, le désenchantement politique – aux USA la guerre du Vietnam, la répression féroce lors de la convention démocrate de 1968, en France la victoire de la droite en 1968 puis en 1969, au Japon l’écrasement des mouvements étudiants puis de l’éphémère Fraction Armée, – est devenu insupportable. Les jeunes les plus impliqués dans cette contre-culture vont alors se spliter en plusieurs tendances avec les allers et retours de mise en de telles situations. Certains vont se réinstaller dans la vie et tenter le changement en eux et autours d’eux, jetant les bases de nouvelles expressions qui domineront quelques années plus tard: on les voie apparaître entre autre dans «L’an 01», de Gébé ou au Théatre du Splendid que nourrit  , dans le quartier Beaubourg justement, Coluche, Depardieu, Devaere, Miou miou, Anémone, ou encore Le Grand Magique Circus de Savary, ou encore… La liste pourrait être longue de ceux qui sont restés à la ville (vie) et ont essayé de lui donner un sens.


D’autres ont progressivement rompu avec la société et ont décidé de tout envoyer valser, se radicalisant hors de tout contrôle, envisageant une lutte armée qui conduirait le peuple à réaliser la réalité du monde, un vaste mensonge et une vraie dictature. La Gauche Prolétarienne en France et ses réseaux s’autonomisant progressivement pour déboucher sur Action Directe; la Bande à Baader en Allemagne de l’Ouest, les Brigades Rouges en Italie. Et plus loin, au Proche-Orient, l’OLP qui se prépare à mener sa guerre au grand jour, entraînant ses combattants, ceux qui passeront à l’action lors des JO de 1972.


Et puis si votre connaissance est plus vaste encore, vous saurez aussi que 1971 marque le début de la fin de la régulation mise en place en 1945, les accord de Bretton Wood. Les Américains renoncent en effet, sous la contrainte d’une guerre coûteuse qui a déréglé leur finances et creusé les déficits, à la convertibilité du dollar en or. Ce système, bien que très imparfait car reposant sur la monnaie d’un seul pays (Keynes avait préconisé la création d’une monnaie mondiale), avait toutefois assuré la stabilité durant 26 ans, et voilà que le dollar lui-même allait être soumis aux lois de l’offre et de la demande.

Bref, si on vous dit «1971», arrêtez de penser au bonheur baba cool du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire et du Mouvement de Libération des Femmes.

1971 est une année pourrie sur tous les front et sonne et comme un premier bilan du retournement cycle long en cours depuis 1967, avec un doublement du chômage progressive depuis deux ans (c’est à relativiser car dans cette époque keynésienne, c’est environ 200,000 chômeurs en France…), une inflation plus forte et ses premiers déficits. Les gouvernements ne réagiront pas à ce changement fondamental et inflationniste, à l’exception notable de l’Allemagne, qui décidera un plan de stabilisation destiné à garder l’inflation sous contrôle. En France, on entre dans la phase décadente des trente glorieuses. Gouvernée par les conservateurs depuis déjà 13 ans, les salaires des ouvriers sont inférieurs de 30% à ceux de leurs homologues allemands. Là où leurs forts salaires permettent aux Allemands de s’acheter des produits allemands et donc de limiter le poids de la concurrence tout en encourageant les investissements et la qualité, la faiblesse des salaires commence à se révéler douloureuse pour l’économie française qui commence à ressentir la concurrence japonaise et allemande dans de nombreuses activités. Un peu comme l’Angleterre, cette situation oblige les entreprises à limiter leurs investissements pour maintenir encore un peu les profits. Définitivement, la France est, avec les USA et le Royaume-Uni, une perdante dans l’âge électronique et c’est en terme de chômage qu’elle va le payer. L’Allemagne et le Japon en sont les grands gagnants et cela limite les dégâts de la crise du capitalisme qui commence à se manifester.

1971, c’est aussi un fait divers en France, terriblement mortel : l’incendie du «dancing», la « discothèque » comme on commence à dire depuis que les orchestres sont remplacés par des disques passés par un « disc-jockey », le «5/7», à Saint-Laurent du Pont, tuant plus de 400 jeunes dans cet entrepôt transformé en «dancing», où un feu s’est déclaré, piégeant la clientèle incroyablement jeune dans ses décorations en plastique multicolores qui en moins de 10 minutes ont transformé ce lieu en crématoire géant. La (seule) sortie était elles même décorées de plantes en plastiques. Dans quelques années, on ne dira plus «dancing». L’évènement est assez «secondaire», mais derrière lui se cache une tendance nouvelle : la percée de la culture des «dancings», ces lieux où on danse sur des musiques enregistrées passées par un disc-jockey.

La période qui va donc de 1971 à 1975, est un moment clé, un moment de crise et de rupture profonde que ses contemporains n’ont pas du tout vu venir, à l’exception des acteurs de la contre culture qui se virent changer eux même et, pour un certains nombre, mûrir. Nul besoin, pour le moment, de s’appesantir sur celles et ceux qui partirent à la campagne faire un «retour à la nature», ni sur cette tendance qu’il y eu à vivre ensemble, en communauté et se partager sexuellement les uns avec les autres, même si, sans être une tendance générale, ce mouvement contribua à desserrer l’étau des interdits sexuels. Mais ayons à l’esprit celles et ceux qui ont alors fait le tour du monde et revinrent à partir de 1975, à la fin de cette période, et nourris des expériences du monde. Aux USA, ces 4 années, c’est l’époque de Harvey Milk.

Cette époque est une époque charnière où des boulversements économiques de fond et une crise fantastique du capitalisme couve, atténuée par la régulation keynésienne, et parfois avec un très grand succès comme dans le cas de la RFA et de la Suède, masqués par la vague de fond de la génération du baby boom et les remises en causes sociétales qu’elle conduit tête baissée à coup de discours politiques et de radicalité musicale et comportementale.

D’où cette impression d’un âge d’or, d’un paradis perdu, quand en réalité dans le fond nous étions à la veille des plus violentes restructurations jamais entreprises depuis des décennies.

Les économistes néo-libéraux, inspirés par Milton Friedman et sa clique monétariste qui sévit au Chili du général Pinochet, considèrent généralement cette période comme une période marquée par l’inflation, que celle-ci était due aux interventions de l’état dans le cadre de la régulation keynésienne, et que c’était l’inflation qui était la source de tous les maux qui s’ensuivirent. Il faut s’arrêter la dessus un instant car à mon avis, les années 70 ne sont pas des années d’inflation, mais des années de déflation relative (ce phénomène avait été décrit par Michel Agglietta et Jacques Attali). Il faut bien entendu se situer dans un cadre de pensée différent, keynésien ou marxiste (même si l’approche sera différente dans chacun des angles). Il faut s’arrêter là dessus pour démasquer un mensonge qui perdure et dont les conséquences se font sentir encore de nos jours puisque ce mensonge de la clique de l’école de Chicago (Friedman) et des manipulateurs de l’école Autrichienne pseudo-utopistes (Haieck) est à l’origine de toutes les politiques de dérégulation et de planches à billets mises en oeuvre depuis les années 80.


C’est d’une guerre, qu’il s’agit, et d’une guerre remontant aux années 30, quand Keynes a inversé le postulat classique du chômage comme variable d’ajustement d’un marché auto-régulé pour faire de la monnaie la variable d’ajustement. L’implication immédiate fut que tous les pays développés réalisèrent les plein emploi (moins de 2% de la population active au chômage et généralement moins de 1%), et que, même après le premier choc pétrolier, le chômage restait contenu entre 4 et 5 % dans les pays où il s’était le plus développé et ce, malgré une crise récurrente depuis 1967, et que l’application des plan de relance dès 1975/76 permit d’obtenir un reflux dès 1977 et jusque 1979. Le résultat de cette politique keynésienne était qu’on acceptait un certain niveau de hausse des prix, le temps que le cycle de croissance soit réenclenché. L’Allemagne, ainsi, affichait un chômage à 3% et réussit à ramener la hausse des prix à moins de 4% dès 1978.

Maintenant, en regardant de plus près cette «inflation» des années 70 qui se développe depuis 1967, on s’aperçoit que sa structure n’est pas homogène. Quand les prix augmentaient de 6%, généralement, les prix de l’industrie n’augmentaient que de 4%, ceux des services de 8% (je simplifie pour faciliter la comparaison). L’industrie était en effet confrontée à la concurrence, pas les services. La seule solution pour garder sa compétitivité était donc de limiter les embauches, augmenter les salaires au strict niveau légal, promouvoir le moins possible, fermer des sites et ne pas investir; Il s’ensuivait un vieillissement des entreprises qui leur faisaient perdre leur compétitivité, et ainsi la boucle se bouclait sur un déclin inévitable et une hausse du chômage.

L’analyse néo-libérale fut de promouvoir dès 1971/72 un remède de cheval : couper les branches mortes. Depuis les années 30, cette Milton Friedman et sa clique attendait sa revanche, et les dérèglements de l’économie dues à des changements structurels rendaient leur offensive possible. Au Royaume-Unis, dirigé par le conservateur Edward Heath, certains dans son propre parti commençaient à se rassembler autours d’un intellectuel brillant et ultra-conservateur nourri des idées de Friedman, Keith Joseph. Ensembles, ils nourrissaient leur attaque de la gestion Heath de façon très simple : la situation économique se dégrade sous les conservateurs car les conservateurs ne sont pas conservateurs, mais socialistes. C’est à cette époque que naquit cette haine particulière envers Keynes, accusé (bien malgré lui, car il était un défenseur de la propriété) d’être socialiste et de créer une société fondée sur l’égalité (un leurre) et le plein-emploi (une machine à ruiner les entreprises).

Il n’y eu pas, en revanche, pas de reformulation des postulats keynésiens. Quelque étaient les gouvernements, droite ou gauche, on appliquait cette même régulation qui pour certains pays commençaient à prendre l’allure de «stop and go» qui leur fut attribuées (avant que n’apparaisse récemment, car les keynésiens nourrissent leur revanche, le terme de «boom and burst» qui caractérise la société dérégulée avec ses période de croissance principalement spéculative n’enrichissant qu’un groupe toujours plus restreint et appauvrissant à chaque crise toujours plus de monde).


Toutefois, les gouvernements socialistes et sociaux-démocrates du nord obtenaient de meilleurs résultats car ils ne pratiquaient pas seulement des politiques de régulation, mais pour eux, le plein devait s’entendre au sens strict. Ils encourageaient donc les investissements, pratiquaient des politiques de très haut-salaire et promouvaient une très haute qualification. L’état, quand à lui, socialisait un maximum de besoins grâce à une politique fiscale fortement redistributrice. En Suède, l’éventail de salaire était réduit de 1 à 4 et contrôlé par le puissant syndicat LO.

Mais il est clair en même temps que la crise que commençait à traverser le capitalisme rendait le problème de l’inflation de plus en plus aigu, et la question du coût des politiques keynésiennes de plus en plus difficile. La légende veut que ces politiques font des déficits. Un simple regard sur les faits atteste que de 1945 à 1975, les dettes des états étaient faibles, les budgets généralement équilibrés, car les politiques keynésiennes reposaient sur le concept de multiplicateur: les investissements réalisés pour relancer étaient sensés rapporter au minimum ce qu’ils avaient coûté sur le long terme. Si de nos jours on «fait du déficit» pour relancer en baissant les impôts par exemple, à cette époque, on construisait des logements, des hôpitaux, des routes, des aéroports et on décidait de mettre le paquet sur une technologie. En France, on doit par exemple au «keynésisme» le minitel (qui a été l’outil électronique du plan téléphone de 1975 et a permis à la France de passer du retard à de l’avance, et a rapporté des milliards en terme fiscaux), mais aussi Airbus, le TGV, pour le meilleur et pour le pire les meilleurs centrales atomiques, toute une palette d’infrastructures publiques de qualité. L’idée est donc bel et bien que «1» investit permettra sur le long terme de retrouver «1» au minimum. La Suède avait elle appliqué très tôt, et c’est une particularité qui distingue une gestion social-démocrate ou socialiste d’une simple régulation keynésienne de droite, un pilotage par la fiscalité. La Suède est parvenu à socialiser l’économie sans nationaliser, et avec des entreprises privées, en taxant les revenus et non systématiquement les plus values. Ainsi, pour encourager des investissements dans des secteurs de pointe, les gouvernements abaissaient les impôts au minimum, quand en même temps pour calmer des tensions dans un autre secteur (par exemple, une bulle dans l’immobilier…) le gouvernement alourdissait les impôts. Le résultat était, comme le rappelait Michel Rocard récemment, une croissance un peu moins forte, mais régulière, sans récession ni à coup. Et un plein emploi réel, moins de 1% de chômeurs, et parmi les meilleurs revenus au monde, et le plus faible éventail de revenus au monde, et 90% de bacheliers, et une politique active, déjà, de protection de l’environnement, et enfin, une contribution réelle de 1% du budget aux pays en développement. J’ai souvent lu l’argument du petit pays, mais il ne tient pas, ou alors, il faudrait m’expliquer pour la Belgique ou les Pays-Bas…

En fait, la gestion keynésienne, surtout appliquée par les gouvernements de gauche, donnait de bon résultats, avec de l’inflation. Et encore faudrait-il s’entendre là dessus car les conservateurs attaquèrent en considérant que 5% était déjà beaucoup trop, d’où le pacte de stabilité et le règlement de la BCE avec son objectif de 2% maximum… Ce n’était pas le keynésianisme qui entrait en crise en 1971, mais bel et bien le capitalisme avec la baisse des profits et des investissements, et la fin de la convertibilité du Dollar en or et par conséquent l’entrée dans un univers où la monnaie elle même serait soumise aux jeu de l’offre et de la demande.


La répercussion sur l’économie de la fin de Bretton Wood fut du même ordre qu’une bombe à neutron, cette autre découverte de la décennie 70. Tout semblait identique, mais en fait, le socle sur lequel reposait la stabilité de l’après-guerre venait de disparaître. La première conséquence fut une poussée d’inflation dans la plupart des pays développés que la plupart des gouvernements décidèrent de ne pas «refroidir» par peur de déclencher une récession. Cela devait avoir des conséquences désastreuses 3 ans plus tard.


Ce qui est intéressant, dans cette année 1971, c’est la mode. Comme si les créateurs avaient senti que quelque chose venait de se passer, ils avaient tous d’abord à l’unisson rallongé l’ourlet depuis 1968, parfois de façon radicale, comme chez Cardin. Mais encore est il qu’il restait cette structure rigide héritée de Courrège, ce possible départ pour l’espace. Ou bien cette inspiration années 20 qui revenait comme un leitmotiv avec les grands yeux, les cheveux courts, les tailles basses, le look «Tweegy». Or, en 1971, force est de constater que si les années 20 sont toujours une inspiration, on a plutôt le sentiment de revoir une vieille bobine de 1930, au début de la grande dépression. Les quelques audaces qui se surimpriment à cette mode semblent faire tâche, comme les iroquoises de Cardin ou les chapeaux en métal de Louis Féraud. C’est pourtant cette années que les couturiers, dont l’héritier de son maître, le dernier dans son genre, Yves Saint-Laurent, créent une ligne radicalement nouvelle à l’origine d’une totale réorientation qui se généralisera dans les deux ans à venir. Ils raccourcissent l’ourlet au genoux. C’est, en fait, une vraie hauteur de guerre dans l’histoire de la mode, car c’est trop long ou trop court. Ou pas assez. C’est une longueur bâtarde.


Ainsi, la mode crée le scandale : en faisant défiler des femmes en robes et jupes ample au genoux, épaulées, avec manteau de fourrure court et très carré, les tête coiffées de chapeau monté très haut en forme de noeud ou amples et fleuris, les cheveux «roulés» et montés, elle signe la première collection «rétro» d’une décennie qui va en voir beaucoup d’autres. Mais l’audace est chez Saint Laurent encore plus radicale : ses poules 1940, plus vraies que nature, ravivent un moment d’histoire que le New Look de son Maître avait caché avec élégance et distinction. Dans un même geste, à travers une révolution rétro, Saint-Laurent donnait une couleur nouvelle à ces années 70 plongées dans une crise qui ressemblait à ce chantier béant en plein coeur de la capitale. Le scandale passé, la «petite robe» un peu évasée, les cheveux roulés aux épaules et les manches bouffées, descendirent dans la rue. Et il n’est qu’à regarder les pochettes de disques des groupes de rock de l’époque pour voir qu’Yves Saint Laurent avait capté l’air du temps : élégant et pute. On dira «glamour». Et l’annee suivante verra monter en puissance la génération « jeune » du pret-a-porter et ses couleurs chatoyantes, ces deux tendances, la rétro et la jeune, cohabitant désormais pour créer une inhabituelle diversité dans une mode jusqu’ici monolithique.

Finalement, cette période est tellement riche en bouleversements qu’il est impossible d’en rendre compte de façon progressive, comme pour d’autres. Elle est gisante, elle s’avachit de tout son long dans une sorte d’interminable fin de l’onde longue de croissance commencée vers 1940, épuisée, déséquilibrée, et boutée de toute par par le dynamisme jeune des baby boomers et la révolution technologique de l’âge électronique qui commence. Vers 1973, les téléviseurs couleurs changent totalement : ils pesaient jusqu’ici 50 à 60 kilos, chauffaient car ils étaient équipés de lampes, leur tube cathodique épais créait un écran bombé. Les voilà qui perdent 10 centimètres d’épaisseur grâce à de nouveaux tubes «110°», et 20 kilos grâce à de nouveaux châssis transistorisés, ceux de l’âge électronique. Encore 3 ans, et ils seront «auto-convergents» et gagneront encore 5 kilos. Leur consommation d’énergie, elle aussi, passe du goinfrage à 500 watt à un plus raisonnable 200 watts qui réduira la température, augmentera la fiabilité des composants et surtout, permettra de réaliser des économies d’énergie.

Car à l’autre bout de ces 4 années, le monde est radicalement transformé sans qu’on s’en soit vraiment aperçu. À l’automne 1973, l’Égypte attaque Israël. Cet événement va entraîner pour la première fois une coalition de soutien dans le monde arabe. Une coalition d’une forme nouvelle. Les pays producteurs ensembles réunis au travers d’une organisation, l’OPEP, décide d’un quadruplement du prix du pétrole. C’est le premier «choc pétrolier». Il ne pouvait tomber à un pire moment, il va renforcer les déséquilibres liés à la fin de Bretton Wood.

L’inflation, déjà élevée, va se hisser dans des hauteurs nouvelles, 15, 20, 25%. Mais plus grave, les industries ne peuvent pas répercuter toute la hausse car il y a désormais concurrence, les frontières ayant commencé à s’ouvrir depuis les années 60. On importe des voitures et des biens électroniques allemands et japonais. Les premiers ont pour eux le design, les second le bas prix, mais les deux cumulent les meilleurs technologies dues à des investissements réalisés dans l’électronique dès les années 60. La France et le Royaume Uni, ayant retardé les investissements, subissent donc le choc de plein fouet. Pire, ces deux pays étaient désormais des pays où l’inflation s’était durablement installée du fait du vieillissement de l’appareil de production. Le chômage avait triplé entre 1967 et 1973 pour toucher 300,000 personnes. Les faillites explosent et le chômage triple encore entre 1973 et 1975 pour désormais frapper près de 900,000 personnes. Les décisions prises pour remédier à ce que l’on nomme désormais «la crise» seront les plus mauvaises réponses jamais données dans l’histoire contemporaine (c’est ce que déclara Raymond Barre quand il succéda à Jacques Chirac à Matignon). C’est que la France a un nouveau président. En avril 1974, Georges Pompidou mourait dans un pays qui plongeait et où la gauche s’était reconstruite autours de François Mitterrand et de son nouveau Parti Socialiste. La coalition conservatrice, réunie autours de Valéry Giscard d’Estaing, alors âgé de 47 ans, ne l’emporta que de 100,000 voies, ce qui accrut la pression pour agir et «relancer». Le résultat fut désastreux, puisque la France cumula inflation chômages, déficits et un nombre incroyable de faillite. L’Allemagne, dirigée par le social-démocrate Willie Brandt, choisit elle une approche keynésienne pure : refroidir d’abord pour absorber le choc, puis relancer. Le résultat fut une inflation plus modérée, et dès 1975, une vive reprise et un contrôle du chômage. Le Royaume-Uni venait d’élire un gouvernement travailliste qui tenta de sauver l’économie en menant une politique économique volontariste, mais qui tourna vite à une gestion panique du choc pétrolier. Le gouvernement Wilson était coincé entre les syndicats, qui voulaient des augmentations de salaires supérieures à la hausse des prix, alors de 25%, et la réalité de pan entiers de l’industrie où les profits avaient cédé la place à des dettes. Les nationalisations furent massives, mais rien n’empêcha le naufrage de l’industrie automobile, du charbon, des chantiers navales. Le prolétariat britannique allait payer au prix fort le manque d’investissement des 20 dernières années. En 1976, le nouveau premier ministre travailliste Callaghan décida de tenter, mais trop tard, une approche «à l’allemande»: une politique de revenus pour réduire l’inflation qui tuait désormais l’industrie et faisait exploser le chômage. Mais les deux années perdues à nationaliser sans vraiment savoir pourquoi, 1974/75 avaient fait un mal irréparable et désormais, le parti conservateur était dirigé par la petite clique anti-keynésienne de Keith Joseph, et menée par la nouvelle leader, Margaret Thatcher. Elle inaugura son ère en chargeant le «socialisme» de tous les maux.

Les faiblesses d’une telle époque qui s’avachit sous la poussée d’événements aussi puissants sont évidentes.

En France, en 1975, nos jeunes de 1971 approchaient désormais la trentaine. Ceux qui étaient «partis» revenaient, paumés au milieu des villes quand ils revenaient de la campagne, réénergisés et tournés vers des idées nouvelles quand ils revenaient de voyages lointains. Ceux qui avaient foncé dans la politique commençaient à redescendre sur terre comme le leur avait suggéré Léo Ferré en 1973, Il n’y a plus rien.

Et puis il y avait ceux qui étaient restés et avaient décidé de «faire» des choses. Alors que leurs copains gauchos se suicidaient les uns après les autres dans ce moment appelé «le flip», ils réinventaient le théatre, le cinéma, la danse, la photographie. Et même le journalisme, grâce à Actuel, et aussi grâce à Libération, le quotidien de la bande à Sartre, les maos de la Gauche Prolétarienne, dissoute en 1973. Après les élections de 1974, Mitterrand dominait la gauche et c’est ainsi que la gauche de «mai», la «deuxième gauche», rentrait à la maison lors des assises du socialisme d’octobre 1974. Avec le départ de Michel Rocard, le PSU se marginalisa, un peu à l’image des gauchistes.

En 1972, les relations entre la Chine et les USA avaient commencé leur normalisation. Le maoïsme n’était plus. Ce fut donc le début des aventures terroristes où des idéologies variées se mélangeaient.

La mode, elle, était désormais résolument rétro. L’ourlet sous le genoux, les matières fluides et «floues», comme si les créateurs avaient décidé à travers des matériaux liquides leur impossibilité à saisir l’époque. À des influences spatiales, puis au clin d’oeil années 40, on était dans un rétro essentiellement conservateur, mélangeant a peu près tout ce qui s’était fait depuis 5 ans.

Les «discothèques», elles, attiraient toujours plus de monde dans une société fatiguée des grands combats politiques de la décennie précédente et désireuse de jouir de ce qu’elle avait gagné : le droit des femmes à disposer de leur corps, des salaires plus élevés malgré la crise. En 1975, alors que l’économie commençait à se remettre et qu’on parlait de la «fin de la crise», on avait envie de s’amuser. Les anciens gauchistes les premiers.

Dans quelques mois, alors que les economies vont sortir de recession grace a d’importantes stimulations keynesiennes, le rythme va s’accelerer, un batteur portugais, DJ a ses heures, va se faire connaitre alors qu’une chanteuse allemande noire va connaitre un grand succes, ringardisant cette pathetique Lady Pump si 70’s en donnant le ton de ce qui va s’annoncer etre les annees 80…